Encens, statuettes et lecture des lignes de la main. Vous l’avez sans doute remarqué, les boutiques d’ésotérisme sont nombreuses à Montréal. Solange Lefebvre, anthropologue et théologienne à l’Université de Montréal, décrypte ce phénomène pas si bizarre.
« C’est bien connu, à Montréal la décentralisation des lieux commerciaux est très forte ». Pour Solange Lefebvre, le nombre de petits commerces indépendants permet à tous les types d’affaire de se développer dans la métropole. Un éparpillement sur lequel la ville n’a pas vraiment de contrôle. « Au vu des prix de l’immobilier à Paris, il n’est pas étonnant que des petits commerces indépendants de ce genre aient du mal à se développer », note l’anthropologue. Si cette particularité d’urbanisme serait le premier facteur de ce penchant pour l’ésotérisme, l’autre raison serait culturelle. « L’ésotérisme, ce sont les enseignements qui sont réservés à des initiés », définit l’universitaire. « Ce qui est tellement vaste qu’on peut y inclure des courants religieux minoritaires mais aussi le massonisme, voire même des pratiques de yoga très spiritualisées ».
Or face à ces différentes pratiques, l’approche nord-américaine et européenne sont littéralement opposées. « Les terres d’Amérique sont propices à l’imagination religieuse. Historiquement, le nouveau monde s’est construit sur une rupture avec certaines valeurs européennes, comme un nouvel espace de liberté. On est plus attaché à l’image de la famille, à la descendance et à la parentèle sur le Vieux-Continent ». Les libertés de religion et de conscience sont des libertés individuelles sacrées en Amérique du Nord. D’où « un fort intérêt pour les mouvements dits ésotériques » dans les années 1960.
Et le vocable est important. « Le monde universitaire québécois évite le mot « secte », connoté péjorativement », signale la professeure. « Etymologiquement, le mot secte signifie qui se retire du monde », précise Solange Lefebvre. Les expressions « nouveaux mouvements religieux » ou « minorités religieuses » sont préférées. En France, il existe un Observatoire des sectes, qui qualifie comme telles de nombreux mouvements. Mais au Canada « les pouvoirs publics font bien attention à ne pas s’immiscer dans le religieux ». Les « religions » y sont reconnues comme organismes à but non lucratif.
« Ici, il y a des statistiques officielles sur la religion, alors que ce sujet est tabou en France », fait remarquer Solange Lefebvre. Ainsi, Statistique Canada publie toutes les décennies des chiffres sur les spiritualités, ce qui est interdit en France. Lors de la dernière étude, en 2011, 108 religions officielles étaient répertoriées au Québec. Les fidèles se réclamant des deux religions majoritaires, le christianisme et l’islam, ont augmenté en nombre sous l’effet de l’immigration. « Mais aussi toutes sortes de traditions chrétiennes », note la théologienne.
Parmi les autres répondants, 1705 se disaient païens, 30 New Age, 565 scientologues (la scientologie est considérée comme une secte en France) et 5520 « autres religions » sans spécification. « Au début des années 1980, on comptait plus de 1 200 groupes religieux de toutes sortes au Canada. Parfois, les personnes n’ont même pas conscience de faire partie d’un groupe. C’est pour cela que « sans religion » est la catégorie la plus grande, mais il existe des myriades de petits groupes où se partagent toutes sortes de croyances », explique Solange Lefebvre.
Puisque les religions sont des organismes à but non lucratif, elles ont des reçus d’impôts, cherchent les permis de lieux de culte… Et les nouveaux arrivants venant des quatre coins du monde, « les gens se retrouvent autour d’événements à la fois religieux et ethniques, avec leur communauté ». Ainsi, il n’est pas rare de voir des Montréalais alterner entre fêtes nationales et ethno-religieuses. Si vous voulez lancer une maudite affaire spirituelle, vous êtes donc au bon endroit !