À Montréal, sortir ses ordures ou son recyclage au mauvais moment peut coûter… plusieurs centaines de dollars. Des citoyens en font l’amère expérience, pris dans une mécanique réglementaire qui laisse peu de place aux explications.
« J’ai respecté les consignes, mais je suis accusée »
C’est ce qui est arrivé à Marie*, une résidente de Villeray qui a récemment reçu un constat d’infraction de 284 $ livré par huissier de justice. Selon la Ville, ses déchets auraient été déposés sur la rue Saint-Denis un jour et à un endroit interdits. Problème : elle assure avoir sorti ses poubelles et son recyclage au bon endroit et au bon moment, devant son domicile.
« Je n’ai commis aucune infraction. Quelqu’un a probablement fouillé dans mes sacs, récupéré une enveloppe ou une boîte à mon nom, et l’a laissée ailleurs. Et c’est moi qu’on tient responsable », explique-t-elle.
La résidente a fait une demande de divulgation de preuve et prépare un plaidoyer de non-culpabilité. L’affaire pourrait l’amener jusqu’à la cour municipale dans plusieurs mois. En attendant, elle doit constituer un dossier solide, avec photos et explications, pour démontrer qu’elle n’a rien fait de répréhensible.
« Je me suis demandé si je ne devrais pas simplement payer. Mais ça m’énerve, car payer équivaut à plaider coupable. Et je ne suis pas coupable », insiste-t-elle.
« Comment suivre des règles qu’on ne connaît pas ? »
Au-delà de son cas personnel, cette traductrice – habituée à manipuler des textes de lois – soulève un problème plus large : l’accès même aux règlements municipaux.
« Je traduis beaucoup de documents juridiques, et je suis habituée à ce que tout soit disponible en ligne, pour clarté et transparence. Même les décisions de justice obscures le sont. Pourquoi ce vide au niveau municipal ? Surtout qu’il s’agit d’un règlement que nous sommes tous tenus de respecter. »
Le Règlement sur les services de collecte (16-049) est en effet difficile à consulter dans une version complète et à jour. Certaines ordonnances sont éparpillées et la version accessible en ligne n’a pas de valeur juridique.
« En lisant le document, j’ai appris des éléments que je ne connaissais pas, comme les dimensions autorisées des bacs ou des sacs. Beaucoup de personnes bien intentionnées risquent donc de commettre une erreur et de se retrouver avec une amende coûteuse, simplement parce que le règlement n’est pas clair et pas facilement disponible. Comment sommes-nous supposés suivre des règles que nous ne connaissons pas ? », questionne la résidente.
Des sacs… de la mauvaise couleur
Matthieu*, un autre Montréalais, a vécu une expérience similaire, cette fois pour une raison encore plus insolite : avoir utilisé un sac poubelle orange.
« J’ai reçu une amende de 171 $. À l’époque, le site de la Ville ne mentionnait aucune restriction sur la couleur des sacs. J’ai donc contesté avec une copie de la page web », raconte le résident.
Son premier envoi de preuve a été rejeté, son amende a été augmentée avec des frais administratifs, et il a dû se présenter en cour. Sur place, la Ville avait préparé un dossier complet : photos de ses sacs, facture retrouvée dans les déchets, rapport d’inspecteur…
« Heureusement, j’avais gardé une deuxième copie de la page originale du site, avant qu’ils n’ajoutent la règle sur les couleurs. J’ai été acquitté, et toutes les autres personnes concernées par le même constat en ont profité », raconte Matthieu.
Si son cas s’est bien terminé, il en garde le souvenir d’un processus long, lourd et énergivore : « La ville est très bien préparée pour défendre ses constats. Si tu n’as pas de preuves solides, mieux vaut parfois payer l’amende pour éviter d’y perdre encore plus. »
Une responsabilité qui dépasse le citoyen
Ces témoignages soulèvent la même question : jusqu’où va la responsabilité des Montréalais·es une fois leurs déchets déposés au bon endroit, au bon moment ? Que se passe-t-il si quelqu’un déplace un sac, ou si une règle obscure – comme la couleur d’un sac – change sans avertissement clair ?
Et surtout : comment respecter un règlement municipal quand celui-ci est difficilement accessible, incomplet ou sujet à interprétation ?
En attendant d’y voir plus clair, une chose est sûre : à Montréal, sortir ses poubelles peut réserver bien des surprises… parfois très coûteuses.
* Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interrogées