Ceux qui ont dû aller chez le dentiste lors de leur expatriation ont parfois entretenu une dent dure contre le système de santé, la faute aux tarifs souvent exorbitants. Pourquoi la santé dentaire paraît chère au Québec ? Dr Réjean Hébert, ancien Ministre de la Santé et des Services Sociaux du Québec et député (de 2012 à 2014), et professeur à l’Université de Montréal, nous livre son expertise.
Avant de parler dents, parlons santé. Certains Français se plaignent parfois du système de santé canadien. Or, selon Health Outcome Index, le Canada figurerait à la 13ème place mondiale. Un rang plus qu’honorable, puisque la France se place en 11ème position.
Pour rappel, le système de santé s’effectue à deux niveaux, fédéral et provincial. Tandis que le financement et la législation sont généralement rattachés au niveau fédéral, la gestion opérationnelle, elle, est aux mains des provinces et des municipalités. Ainsi, chaque province dispose de son propre régime de santé. “Le Québec est la seule province avec une couverture de santé universelle pour ses résidents“, précise le Dr Réjean Hébert. Dès lors, un résident du Québec devra faire une nouvelle demande d’affiliation pour une nouvelle carte d’assurance maladie.
Le principe est le même dans toutes les provinces. “Les soins dentaires ne sont pas couverts, sauf ceux qui sont dispensés lors qu’ils sont dispensés à l’hôpital“, explique Dr Réjean Hébert. Donc, toute intervention en cabinet – à savoir la majorité des interventions dentaires – sont exclues du système de santé. Mais certains actes de chirurgie dentaire sont couverts, en fonction des provinces. “Par exemple, le Québec couvre les services pour les enfants de moins de 10 ans“, ajoute le médecin.
Une information précisée sur le site de la RAMQ. La régie précise ” En milieu hospitalier, toute personne assurée a droit à certains services de chirurgie buccale en cas de traumatisme ou de maladie. Ils sont fournis sans frais. Les examens, l’anesthésie locale ou générale et les radiographies qui y sont liés sont également couverts.” Mais ajoute : “toutefois, les frais relatifs à l’extraction de dents et de racines ne sont pas assumés par la Régie“.
L’ancien Ministre rappelle le cadre législatif fédéral : la Loi sur l’assurance-hospitalisation et les services diagnostiques de 1957 et la Loi sur les services médicaux de 1966. Ces deux textes prévoient respectivement de partager avec les provinces et territoires les coûts de l’hospitalisation et des services médicaux. Et les soins dentaires (sauf pour les enfants sous certaines conditions), en ont toujours été exclus. “Mais au même titre que d’autres aspects de la santé, comme la psychologie“, fait remarquer Dr Réjean Hébert. “C’est le cas d’ailleurs dans de nombreux pays“.
Dans les années qui ont suivi, les provinces ont toutes adopté ces lois, mais à un certain prix. “La condition pour que le Fédéral finance la moitié des dépenses de santé ? Que les provinces respectent certains grands principes“, précise Dr Réjean Hébert. Ainsi, les provinces doivent respecter la gestion publique, l’intégralité, l’universalité, la transférabilité et l’accessibilité. ” Le cinquième principe a été ajouté plus tardivement, en 1984“, se souvient l’homme politique. “Cela signifie que les provinces ne peuvent pas mettre en place des obstacles financiers, comme les frais accessoires ou le ticket modérateur“. Au Québec, la surfacturation est “interdite“, dit Dr Réjean Hébert. “En France, la plupart des dentistes et autres praticiens de santé pratiquent des dépassements d’honoraires, souvent couverts par les mutuelles. Au Québec, tout doit être couvert“.
Dans les faits, certains praticiens font gonfler l’addition. L’Ordre des dentistes du Québec, lui, “encourage les patients à discuter des honoraires avec leur dentiste avant le début des traitements“. Et rappelle le Code de Déontologie des dentistes : “le dentiste doit établir et présenter des honoraires justes et raisonnables au patient, c’est-à-dire en proportion des services rendus“. Services parfois difficilement mesurables, souvent proportionnel au prix du loyer du cabinet.
Quant à l’idée reçue selon laquelle les assurances privées au Québec ne rembourseraient pas la santé dentaire, “c’est faux”, selon Dr Réjean Hébert. Tout dépend en réalité de l’assurance choisie, souvent le fait de l’employeur. En passant, l’universitaire se dit satisfait de celle proposée par l’Université de Montréal, qui couvre les dents. “Comme les soins dentaires coûtent chers -mais c’est le cas partout dans le monde, certaines assurances ne l’incluent pas“, précise-t-il. Il y a donc toujours possibilité de se prémunir contre un pépin de canine.
“Le Québec est la seul province à avoir une couverture universelle des médicaments“, précise l’ancien Ministre. Une bonne nouvelle en cas de médicaments à acheter suite à une gingivite ou une méchante rage de dent. Dans les autres provinces, cela n’est valable que pour certaines catégories de la population, “comme les indigents ou les personnes âgées“. L’ancien député se dit “favorable” au “Pharmacare” prévu pour 2020, “un des enjeux politiques majeurs pour le gouvernement fédéral“.
Finalement, la santé dentaire au Québec ne serait peut être pas si chère, comparée aux autres provinces et à son voisin des Etats-Unis. Agnès Bazin, infirmière en chirurgie dentaire à Montréal, évoque surtout “une approche différente” de la santé dentaire de part et d’autre de l’Atlantique.”En France, un détartrage coûte certes 30 euros, mais il dure 5 minutes. Ici, un nettoyage coûte presque dix fois plus cher, mais dure une heure et est effectué en profondeur“.
La jeune femme originaire de Bordeaux ajoute : “en France, on est plus dans la prévention, alors qu’au Québec on est plus dans l’intervention en cas de problème“. Mais pour limiter ces interventions souvent coûteuses, les dentistes québécois prennent souvent à coeur leur rôle de conseil : démonstration d’un bon brossage de dents ou conseils d’hygiène bucco-dentaire. “Par exemple, au Canada, on recommande beaucoup l’usage quotidien d’un fil de soie après le brossage, pour enlever le tartre et les bactéries“, illustre l’infirmière.”Je n’en avais jamais entendu parler en France !”
À savoir : la 14ème édition des Journées de Santé dentaire publique au Québec (JSDP) se tiendra les 19 et 20 juin. Plus d’information ici.