Dans un précédent article, Maudits Français citait une courtière immobilière sur la manière de faire un “juteux investissement” à Montréal. Ces propos ont heurté certains de nos lecteurs. Parmi eux, les productrices de “Gentriville”, une expérience interactive hébergée par Radio-Canada. Un webdocumentaire pour mieux comprendre la gentrification… qui rime parfois avec « frenchification ».
À l’origine du webdocumentaire “Gentriville”, deux voisines du Mile-End : Marie Sterlin, documentariste québécoise d’origine haïtienne, et Emmanuelle Walter, journaliste française. « Un jour, j’ai publié un post Facebook sur l’énième éviction d’un artiste locataire du quartier, et Emmanuelle, qui a observé le même phénomène à Paris, m’a proposé un projet sur ce sujet », raconte Marie Sterlin. Les deux voisines obtiennent rapidement le soutien de Radio-Canada, après avoir insisté pour employer le terme « gentrification » et non « embourgeoisement ». La nuance importe beaucoup, puisque « les acteurs de la gentrification ne sont pas nécessairement bourgeois, mais aussi des étudiants ou artistes, qui changent le visage d’un quartier avec un réseau et un capital culturel supérieur à celui des populations d’origine ». Un phénomène criant sur le Plateau-Mont Royal, dans Mile-End, ou encore à Parc-Extension, “surnommé Mile-Ex par les promoteurs“.
Si, pour les auteures, le phénomène se déroule de la même façon à Paris, Berlin ou Montréal (valorisation d’un bâti par l’arrivée d’une nouvelle population au style de vie différent, puis des familles, et enfin de la spéculation), elles considèrent « qu’on est tous responsables de la gentrification, parfois sans s’en rendre compte ».
Elle aurait commencé dans la fin des années 1980 dans la Cité Lumière, lorsque la diaspora française, auparavant localisée à Côte-des-Neiges ou Outremont, est tombée en amour pour les vieilles bâtisses biscornues du Plateau Mont-Royal et du Mile-End. « La frenchification est finalement née d’un désir d’ouverture ! », plaisante Marie Sterlin. À l’origine du néologisme, contraction de « french » et « gentrification », les deux auteures font le lien entre arrivée de sociétés françaises comme Ubisoft et montée des prix. « Les Français ont tendance à accepter des prix trop élevés car ils comparent avec les prix exorbitants de Paris, mais une fois qu’ils discutent avec les Québécois, ils se rendent compte qu’ils surpayent ! ».
Les Unes de certains magazines vantant l’expatriation au Québec ont aussi renforcé la diaspora. On compte aujourd’hui 130 000 Français à Montréal, soit 30 000 de plus qu’en 2015.« Ils cherchent certains produits et un certain style de lieux de convivialité, ont des usages de consommation qui se répercutent de façon spectaculaire sur le visage du quartier et l’offre locative. »
« Les habitants d’origine sont poussés dehors », regrette Marie Sterlin. On se souvient notamment du témoignage de Patsy Van Roost, victime de la gentrification du quartier. “Après 29 ans dans le Mile End et 21 ans dans mon appartement, mon loyer a été augmenté de 1440$ à 3500$“, nous confiait la “fée du Mile End” partie vivre du côté de Rosemont.
Marie Sterlin déplore aussi le manque de logements sociaux à Montréal, « un parc largement moins développé qu’en France ». « Doubler ces logements pourrait être une solution pour accueillir tout le monde », propose-t-elle.
C’est pourquoi la documentariste recommande de bien s’informer avant de signer un bail. « Selon la loi, le propriétaire est tenu de vous informer du prix le plus bas payé par l’ancien locataire dans les 12 derniers mois », précise-t-elle. Si les Français ne sont pas les seuls responsables de la gentrification, ils sont souvent mal informés de leurs droits, et sont parfois victimes de propriétaires peu scrupuleux, qui n’hésiteraient pas à proposer un loyer élevé en entendant un accent parisien.
Sur “Gentriville”, l’utilisateur découvre de manière ludique « quel gentrivillois » il est, à travers un parcours interactif et des vidéos explicatives sur les différentes dimensions de la gentrification. Dont deux capsules tournées à Paris. « Nous avons voulu l’expérience la plus ouverte possible », glisse enfin Marie Sterlin.