Michel Vaïs est le fondateur de la Fédération Québécoise de Naturisme. Pour ce Tunisien installé au Québec depuis 1958, les Français en vacances dans la Belle-Province sont tête de proue du tourisme naturiste.
Il est un peu l’expert du naturisme au Québec, en France et même ailleurs. Auteur de “Nu, simplement“, publié en 2012 aux éditions Tryptique, Michel Vaïs s’est investi dans une mission : démystifier la pratique naturiste.
Né à Tunis, arrivé avec sa famille au Québec à l’âge de 12 ans, Michel Vaïs n’a pas pu aller à l’école française. Ces dernières, d’obédience catholique, n’acceptaient pas les enfants juifs, contrairement aux écoles protestantes et anglophones, qui acceptaient les élèves de toutes confessions. C’est donc un peu sur le tas qu’il a appris la langue de Shakespeare. Un coup de coeur, puisque Michel Vaïs poursuit ses études à l’Université de Montréal et à Mc Gill en études théâtrales…
“J’avais à cette époque une blonde québécoise qui aimait bronzer nue sur son balcon, comme sa mère. Cela m’étonnait beaucoup, car en Afrique du Nord, on fuit le soleil“, raconte-t-il. Tous les deux partent alors à Paris, Michel Vaïs poursuivant en doctorat. C’est sur les bancs de Paris VIII qu’il entendra pour la première fois parler de naturisme. “Un de nos professeurs nous a dit : pour accepter votre corps, allez chez les naturistes“.
La France des années 1970 est à la pointe de ce mouvement, qui applique une pratique de la nudité en collectivité, basé sur l’idée d’un retour au naturel (contrairement au nudisme). Plus de 200 centres naturistes existent alors dans l’Hexagone. Le Québécois d’adoption découvre donc ce mode de vie, notamment au village de Montalivet, près de Bordeaux. “Nous étions intimidés au début, mais j’avais surtout un sentiment de liberté !“, se souvient-il.
Alors qu’en France, les centres naturistes se développent dès le début du XX ème siècle, notamment sous l’influence des Allemands qui viennent y passer les vacances, au Québec, le premier ouvre ses portes en 1970. La révolution tranquille des années 1960 ayant, en effet, permis au naturisme de faire des émules.
Si “Le Paradis Terrestre”, dans les Laurentides, se fait discret, c’est parce que le contexte socio-historique est différent. “En 1948, il y a eu une tentative d’ouverture de centre, mais le fondateur a fait de la prison“, raconte Michel Vaïs. “Son erreur ? Pour être certain de la bonne foi des futurs membres, il demandait d’envoyer des photos nues par la poste. Il a été condamné pour utilisation des services postaux à des fins pornographiques !” L’anecdote en dit long sur un rapport au corps différent qu’en Europe. S’il y a bien eu des centres ouverts dans d’autres Provinces (notamment en 1940 à Vancouver), il y a un certain paradoxe entre l’ouverture d’esprit à la québécoise et le tabou de la nudité.
C’est dans ce contexte qu’est créée la Pommerie, un centre près de la frontière étasunienne, à Saint-Antoine-Abbé, ouvert de mai à septembre. Justement, le fondateur est français. Michel y installe d’abord une caravane. Et surtout, il décide de fonder, en 1977, la Fédération Québécoise de Naturisme. Aujourd’hui, le président est François Lévesque.
Le but ? Démystifier ce mode de vie, et proposer à ses adeptes des activités, même l’hiver. Grâce à sa structure, la fédération peut alors louer des piscines, bowlings et même des cabanes à sucre. “Il y a un filtrage pour l’expérience naturisme”, tient à préciser le fondateur. “Les familles sont les bienvenues, les femmes seules aussi. Pour éviter du voyeurisme, les hommes seuls doivent être parrainés, se faire connaître“.
Si l’art de vivre naturiste est peut être plus discret qu’en Europe, il n’en reste pas moins dynamique. Au Québec, les six centres naturistes affichent complets l’été. Et les touristes français seraient très demandeurs de ces lieux de villégiatures. “Sur les 650 000 Français qui viennent chaque année au Québec, un certain nombre sont naturistes. Ce sont eux que l’on voit le plus dans les centres“, témoigne Michel Vaïs. Même son de cloche du côté de Xavier Bernapel, Français installé au Québec depuis 12 ans. “Les Français représentent au moins 15% de la clientèle de la Pommerie. Ils viennent en famille, et apprécient la tranquillité d’esprit qu’ils y trouvent“, raconte-t-il. Parmi eux, des touristes de passage, mais aussi des expatriés, “de tout âge et de toutes classes sociales“, raconte Xavier Bernapel.
Cet imprimeur, qui pratiquait le nudisme (et non le naturisme) avec ses parents sur des plages isolées de Charente-Maritime, trouve que la “culture est bien plus forte” en France. “En France, il y a plus de choix d’établissement, et c’est une pratique qui est mieux vu. Ici, lorsque j’en parle avec mon entourage, je sens bien que certains ont des réticences. Cela dit, les Québécois qui pratiquent le naturisme sont très relax“. Le quadragénaire, qui a quitté la France depuis 20 ans en tout, trouve, quand même, “qu’il y a beaucoup plus de restrictions au Québec”. “La parole est très libérée ici, mais pas le corps. Rien que de se faire la bise, ça peut choquer”.
Quant à la pratique du naturisme sauvage, elle est beaucoup moins courante qu’en France ou en Europe. Même la loi québécoise n’est pas claire, puisque est considéré comme “nu“, celui qui est “vêtu de façon indécente.” “On note un regain de pudibonderie, peut-être lié à de nouveaux arrivants dont la culture considère le corps comme mal et devant être caché. Ou aux obsessions créées par le porno”. Et, note Michel Vaïs, “nous ne sommes pas loin des Etats-Unis, qui, rappelons-le, se sont choqués pour un bout de sein apparent de la chanteuse Janet Jackson lors du Super Bowl”.
Les tabous persistent. La fédération se voit parfois refuser la location de certains lieux. Comme le YMCA de Guy Favreau, qui louait certains dimanches soirs le gym à la fédération, mais qui a cessé de le faire dès que cette information a été divulguée dans la presse. “Il faut que les centres sportifs puissent nous recevoir !“, milite le fondateur de la FQN.
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