“On fait peur à travers l’écologie. On déteste l’humain. On veut l’extinction de l’humain…”, “Est-ce que ça vaut la peine de remplir nos universités francophones à 65% de femmes si c’est pour s’appauvrir collectivement ? (…)”, “On a des transgenres ou encore des gars qui s’habillent en fille qui vont donner des cours dans des classes primaires. (…) C’est le début de la fin…”. Petit florilège du genre de propos émis sur les ondes FM de ce qu’on appelle les radios d’opinion québécoises, plus connues sous le nom de “radios-poubelles”. D’où vient ce phénomène ? Pourquoi autant de radios-poubelles au Québec ? C’est notre “question bête” de la semaine.
Discours homophobe, transphobe, sexiste, anti-immigration, raciste, climato-sceptique… C’est ce qu’on retrouve généralement dans les programmes de Radio X, ou encore de 93FM, des radios privées portées par des animateurs-stars controversés et qui font grimper leur audience depuis une vingtaine d’années dans la région de Québec, où l’héritage conservateur est bien plus fort qu’à Montréal.
“Les radios-poubelles québécoises sont un copié-collé de ce qui se fait aux Etats-Unis, nous a expliqué Dominique Payette, spécialiste de la question et auteure de l’ouvrage Les Brutes et la Punaise aux Editions Lux. Là-bas, il existe plus de 4000 stations de talk qui sont des radios de droite et d’extrême droite à grande majorité raciste, contre l’immigration, sexiste, anti-syndicale… Elles ont soutenu Trump lors de son investiture chez les Républicains et dans sa campagne présidentielle. Leur propagande est de la même nature que les nôtres ici et ces radios ont clairement une influence sur le vote et sur le plan politique.”
Propagande, dénigrement et discours haineux intouchables car enveloppés dans le principe de la liberté d’expression. Au Québec aussi, ces radios auraient un certain impact et diviseraient la population. “Selon des sondages, il y aurait 10% de plus de climato-sceptiques dans la capitale nationale qu’ailleurs”, souligne Etienne Lanthier du collectif « Sortons les poubelles » qui lutte depuis 2012 contre les dérives verbales et les agressions tous azimuts à l’antenne.
“Beaucoup passent sous silence ce qu’il se passe. En 2016, nous avons été les premiers à relayer les propos de l’animateur Eric Fillion sur une présumée affaire de viols de femmes autochtones par des policiers de Val-d’Or en Abitibi. À l’antenne, il soutenait que c’était impossible que des beaux gars violent des filles déboîtées, maganées de la vie,” nous a raconté le militant affligé.
La radio-poubelle, très anglo-saxonne, s’appuie sur trois ingrédients essentiels : l’animateur-vedette qui pratique l’auto-valorisation, des auditeurs ultra-fans et une tierce personne ou une communauté souffre-douleur. Jeff Fillion, Eric Duhaime, Sylvain Bouchard… Les “stars” actuelles sont tous des héritiers d’André Arthur, le père de ce style radiophonique qui a régné sur les ondes de ces radios à Québec pendant 50 ans.
Multi-blâmés par le Conseil de presse du Québec, ils ne sont souvent pas plus inquiétés que cela. Des dérapages qui seraient, en France, directement sanctionnés par le CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel). “Aucune institution ne fait contrepoids ici, la radio est de juridiction fédérale, souligne Dominique Payette. Il faudrait une nette intervention du CRTC (Conseil de la Radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), c’est lui qui est responsable de l’application de la loi sur la radio, loi qui actuellement est très mal appliquée. Tout le monde a bien conscience qu’il y a une espèce d’omerta autour de ces radios et de leur pouvoir politique.”
Une omerta qui commence à se briser petit à petit puisque des voix commencent à s’élever contre les radios-poubelles. Catherine Dorion, la députée solidaire de Taschereau, a critiqué ouvertement ce système dans une entrevue avec la chanteuse Safia Nolin fin mars dans sa série “Nous ne sommes pas seuls” sur Youtube. Du jamais vu. Un extrait choisi : “Oui, ils (les radios parlées privées de Québec) vont radicaliser du monde, du monde qui font des actes haineux, du monde qui font des meurtres, ils vont faire ça. C’est pour ça que je trouve ça dangereux”, a-t-elle déclaré, déplorant le “climat médiatique” qui règne en ce moment.
La réaction du média n’a pas tardé. Elle a directement reçu une mise en demeure de la station Radio X pour diffamation. Affaire à suivre…