Rentrer en France pour les vacances ou pas? Le dilemme a animé bien des conversations familiales ou amicales au printemps. C’est reparti pour Noël: est-il raisonnable d’envisager rentrer passer les fêtes de fin d’année?
Commençons par une bonne nouvelle: pour une fois les prix des billets d’avion ne sont pas le problème… D’ordinaire, l’importante communauté française du Québec avide de passer Noël en France fait s’envoler les prix. Pas cette année: sur Air France comptez 720 $CAD pour un aller-retour Montréal-Paris (19 décembre- 2 janvier), contre plus de 1 500 $CAD l’année dernière aux mêmes dates, pour des billets achetés à la même période. Avec, en plus, la possibilité de modifier les dates du voyage à tout moment. Pourtant, de nombreux Français de Montréal hésitent encore à partir. La peur de transmettre le virus à ses proches apparait comme la raison principale, mais pas seulement…
L’Union Européenne a annoncé le 21 octobre que les voyageurs en provenance du Canada ne seraient plus autorisés à entrer en territoire européen en raison de recrudescence de cas de Covid-19, mais cela ne concerne pas les citoyens des États membres. De toute façon, les frontières canadiennes étant encore officiellement fermées, certains Français risquent de se retrouver dans l’incapacité de revenir ensuite. C’est le cas notamment des PVT qui n’auraient pas un employeur fixe, ou une adresse permanente. En réalité, la majorité des Français sont en mesure de voyager vers la France (tout citoyen peut voyager vers la France selon l’Ambassade, accompagné de son/ sa conjoint.e même non français et de leurs enfants) et de revenir au Canada. Pourtant, le doute subsiste. Lola, étudiante en Abitibi (région en zone jaune), n’est pas retournée en France depuis trois ans. Elle a acheté des billets mais pense annuler. « J’ai peur qu’on ne me laisse plus entrer sur le territoire. Ce n’est pas un voyage essentiel et je ne suis pas canadienne donc je prends le risque de ne pas pouvoir rentrer… ». En principe, les étudiants en cours d’études peuvent revenir au Canada, mais Lola connaît des personnes qui ont été bloquées à la frontière. Aussi, sa conjointe française a reçu un courriel du gouvernement indiquant « Pour vous rendre au Canada, vous devez démontrer que vous êtes exempté des restrictions ET que votre voyage est essentiel ». Si le message est informatif, il suffit à faire peur.
Comme Blandine, ils sont donc nombreux à ne pas vouloir (re)prendre le risque de voir les billets annulés. « On devait partir du 19 au 29 décembre avec Air Canada, mais le vol a été annulé. Alors on laisse tomber ». Avec la pandémie, les liaisons Montréal-régions sont moins nombreuses, ce qui décourage également ceux qui voulaient éviter les correspondances à Paris.
Retrouver ses proches et « goût de la vie »
D’autres sont prêts à prendre le risque. Miléna a acheté ses billets et suit de près la situation sanitaire. Camille, résidente permanente, a souscrit une l’assurance au cas où elle devrait se faire hospitaliser lors de son voyage en France. Un investissement qui vaut la peine, selon elle, pour préserver la santé mentale et « lutter contre l’isolement de Montréal, de la vie d’expatrié mais aussi isolement culturel », et retrouver « le goût de la vie ». Même son de cloche du côté d’Isabelle, aussi résidente permanente : « Ce sera le bordel partout de toute façon, alors autant être où ce sera mieux pour moi… et moins froid ! ».
Si des métropoles françaises ont imposé de nouvelles restrictions sanitaires comme le couvre-feu les jours derniers, les Français du Québec perçoivent globalement la situation comme moins anxiogène de l’autre côté de l’Atlantique. Lucile, étudiante en criminologie, retourne en France à Noël pour au moins trois semaines (« on peut modifier les dates »), pour voir ses parents. Lors de son séjour de deux mois cet été, elle a scrupuleusement respecté les gestes barrières, contrairement à la majorité de ses amis en France, qui « s’en fichent complètement, ils n’ont pas peur. J’étais la seule à refuser de faire la bise, mais quand j’expliquais pourquoi je ne voulais pas prendre de risques, ils comprenaient ». Son « chum » québécois, lui, trouve que voyager pendant la pandémie est irresponsable, mais pour Lucile, voir ses parents est primordial.
Déjà, le port du masque chirurgical obligatoire à bord de l’avion en rebute certains. « Sentir sa propre haleine pendant huit heures, quelle horreur ! », plaisante Olivier, un habitant de Québec rentré cet été en France pour quelques semaines. Mais c’est surtout la quatorzaine imposée par le Gouvernement canadien qui bloque de nombreux aspirants voyageurs. Inès, infirmière, s’insurge que l’hôpital qui l’emploie « fasse de la rétention » en refusant les congés sans solde et obligeant la quatorzaine à être prise sur les cinq semaines de vacances annuelles. « Il est hors de question que je passe la moitié de mes vacances en isolement ici », s’agace-t-elle. Même problème pour Caroline, infirmière également, installée au Québec depuis 5 ans avec son mari et ses deux enfants : « Le syndicat ne peut nous garantir que rien ne sera annulé au dernier moment. S’il manque du personnel il faudra rester ce qui n’est pas facile non plus pour prévoir quoique ce soit ». Pour Macha, travailleuse sociale en PVT, « entre l’absence de congés payés la première année de travail et le sans solde de 14 jours imposés », pas de fêtes en famille non plus.
Sophie, employée dans le secteur académique, se dit révoltée par le principe même de la quatorzaine. « Il suffirait de s’isoler trois jours en attendant le résultat d’un test ! ». Si elle peut télétravailler, elle hésite encore à partir, car son fils adolescent ne pourrait pas l’accompagner. « L’autre solution serait que mes parents viennent nous voir, car les grands-parents peuvent désormais venir en visite ». Sous réserve que « la situation n’empire pas », précise-t-elle. Christelle, maman d’un garçon, est catégorique : « je partirai en France dès que la quatorzaine obligatoire sera supprimée ».
Finalement, seuls ceux et celles qui peuvent travailler à distance envisage un Noël en France. Oriane n’aurait pas pu prendre ses billets seulement pour la semaine de congé des fêtes, si son employeur ne lui avait finalement pas permis de télétravailler plusieurs semaines depuis la France. « Partir trois semaines me permet d’avoir des billets moins chers et de pouvoir m’isoler 14 jours en arrivant en France, avant de voir mes grands-parents à Noël. ». Pour son conjoint Charles, étudiant en environnement, partir oui, mais de manière raisonnée. Sa philosophie : « rentrer moins souvent, mais plus longtemps. Les cours de l’université étant en ligne cet hiver, je retourne deux mois en France ».
Certains se disent tout simplement incapables de rester enfermés 14 jours, même avec la possibilité de continuer à travailler. Laura et Alexis, avec trois jeunes enfants, en ont fait l’expérience cet été : « plus jamais ! », s’accordent-ils. Catherine, elle, tient à préserver sa santé mentale avant tout : « Conserver l’option d’aller courir ou marcher à l’extérieur est vital pour moi ». Mais « s’ils réduisent l’isolement comme certains pays à 8 jours, alors là, j’y penserais peut-être », nuance-t-elle.