Depuis plus d’un siècle, le Guide Michelin fait et défait les réputations dans le monde de la haute gastronomie. Avec ses célèbres étoiles, il récompense les établissements qui allient excellence culinaire, régularité et maîtrise technique. Ses inspecteurs, anonymes et redoutablement exigeants, voyagent incognito, paient leur addition comme tout le monde et évaluent selon cinq critères clés : qualité des produits, justesse des cuissons, harmonie des saveurs, personnalité du chef et constance. Ces derniers mois, ils ont sillonné le Québec en toute discrétion. Et leur verdict approche : jeudi 15 mai, on connaîtra enfin les premières adresses étoilées de la province.
Après Toronto en 2022 et Vancouver en 2023, le Québec devient la troisième province canadienne à intégrer le prestigieux Guide Michelin, et la 12e destination couverte en Amérique du Nord, aux côtés de villes comme New York, San Francisco, Chicago ou encore Mexico.
Contrairement à d’autres éditions centrées sur une seule métropole, celle du Québec couvrira l’ensemble de la province : Montréal, Québec, Charlevoix, les Cantons-de-l’Est, la Côte-Nord ou le Bas-Saint-Laurent sont autant de territoires susceptibles d’y figurer. Cette approche élargie reflète la diversité des terroirs québécois et l’essor de restaurants de destination, souvent situés loin des grands centres, mais au cœur d’une expérience gastronomique complète liant nature, saisonnalité et hospitalité.
Les réactions politiques n’ont pas tardé. À Montréal, la mairesse Valérie Plante et la responsable de la culture Ericka Alneus ont exprimé leur fierté sur les réseaux sociaux. Du côté de Québec, le maire Bruno Marchand a souligné l’impact positif de cette annonce sur l’économie locale et le tourisme. Et pour cause : plus de 2,1 millions de dollars ont été investis par divers partenaires pour attirer les inspecteurs du guide au Québec. Tourisme Montréal, Destination Québec Cité, les villes de Montréal et Québec, la SDC Montréal Centre-Ville, Développement économique Canada : tous ont uni leurs forces pour faire venir Michelin.
Car depuis quelques années, l’arrivée du Guide ne repose plus uniquement sur l’initiative de ses célèbres inspecteurs. Elle dépend d’un partenariat financier : les villes ou régions intéressées doivent payer pour être évaluées, dans ce qui s’apparente à une stratégie de marketing territorial. Cette somme permet à Michelin de financer ses inspections, ses productions locales et ses événements promotionnels. En retour, la destination bénéficie d’une visibilité internationale accrue. Le Guide affirme toutefois que cette entente n’influe en rien sur la sélection des restaurants, qui reste, selon lui, entièrement indépendante.
L’objectif de cet investissement ? Positionner le Québec comme une destination gastronomique incontournable et attirer une clientèle de fins gourmets — notamment en provenance de la France, des États-Unis ou d’Asie — friande de restaurants étoilés.
L’annonce de l’arrivée du Guide Michelin a été bien reçue par une bonne partie du milieu, mais non sans débats. Au sein de La Table Ronde, un collectif qui regroupe 168 établissements, la motion d’appuyer officiellement le projet n’a été adoptée qu’à 66 %. Un vote qui montre bien que le sujet divise.
Certains grands noms de la gastronomie québécoise, comme Normand Laprise (Toqué!), ont toujours été prudents à l’égard du guide. Parmi les craintes exprimées : une uniformisation de l’offre, une pression sur les chefs ou une perte d’identité locale.
Mais une nouvelle génération a fait entendre une voix différente. François-Emmanuel Nicol, chef du Tanière³, à Québec, parle d’un « accomplissement ». Pour lui et d’autres, Michelin représente une chance : celle de faire rayonner la scène québécoise à l’international, sans tourner le dos à ses racines.
Le débat est donc ouvert – et sain. Il reflète une question plus large : comment rester fidèle à ce qui rend la cuisine d’ici unique, tout en accueillant une reconnaissance mondiale ? Pour l’instant, le milieu avance, à son rythme, curieux de voir où cela mènera.