C’est presque une impatriation qu’entreprend le Français Gilles de Fraguier lorsqu’il choisit de s’installer à Montréal en 2015. Le volubile patron de l’atelier Lézard Créatif a troqué ses sécateurs contre des pinceaux en quittant sa carrière au sein de l’enseigne La Jardinerie en France, pour se reconvertir dans les arts créatifs au Québec.
Un retour aux sources
“Mes parents ont quitté Le Havre en 1953 avec deux enfants en bas âge et pas de travail. C’était un homme et une femme qui avaient des rêves“, raconte Gilles de Fraguier. Ce rêve américain amène le couple au Québec, à Winnipeg, puis à Dorval où le père de famille – alors agrandie à 8 enfants – poursuit une carrière chez Air Canada. Son fils Gilles en gardera une passion pour les avions.
À Montréal, les petits de Fraguier suivent leur scolarité dans les établissements français : à Stanislas pour les garçons, et Marie de France pour les filles, puis s’envolent tous en France pour leurs études supérieures. Son diplôme d’ingénieur en poche, Gilles de Fraguier s’installe à Angers, d’où il pilote les enseignes Jardiland dans l’Ouest de la France. Mais à la cinquantaine, une conjonction d’évènements professionnels et personnels l’amène à une profonde remise en question. “J’ai connu un problème de santé un peu grave qui m’a fait réfléchir à ce qui pouvait donner du sens à ma vie“, confie le Français.
Le lien avec Montréal va s’imposer doucement. “Un jour, j’ai décidé d’y retourner une semaine pour voir si j’avais envie d’y vivre.” Gilles de Fraguier renouvelle l’expérience six mois de suite, et lorsqu’il décide de faire le grand saut en décembre 2015, il n’a pas encore de projet professionnel. C’est au salon de la franchise à Montréal qu’il rencontre le fondateur de l’enseigne française Lézard Créatif et décide de la racheter pour le Québec, en l’adaptant au marché. En 2016, l’entrepreneur ouvre sa boutique-atelier avenue Laurier Ouest.
Une reconversion vers le créatif en gardant l’humain
Au Lézard Créatif, on vient à tout âge participer à des ateliers. Un refuge qui permet aux clients de recréer un lien non virtuel avec les autres et de s’évader du diktat de la perfection, selon le Français. “Les gens viennent en atelier car ils ont un vrai besoin d’être dans un lieu où l’on peut parler, prendre un café, où on a le droit de renverser le pot de peinture et de louper son dessin ou de ne pas comprendre comment faire une perspective“, raconte l’entrepreneur qui organisait déjà des ateliers en France pour Jardiland.
Gilles de Fraguier a adapté le concept français au Québec. “En France, on est assez élitistes. Un animateur ou une animatrice aura forcément fait les Beaux-Arts et propose des ateliers à la peinture à l’huile, qui n’est pas enseignée à l’université ici”. Au Lézard Créatif de Montréal, la plupart des ateliers permettent d’explorer la technique de son choix (pastel à l’huile ou sec, peinture à l’acrylique, encre, encre de Chine, crayons de couleur etc.). Autre spécificité locale : les camps – “une institution au Québec“- qui sont organisés l’été et pendant les relâches.
La société Lézard Créatif a été liquidée en France en 2018 mais Gilles de Fraguier continue à faire vivre l’enseigne à Montréal avec son équipe composée de deux personnes à temps plein et de quatre animatrices. Son entreprise vit à 40% de la vente de produits, 40% des ateliers auprès de particuliers, et 20% d’ateliers corporatifs sur mesure. “On répond souvent à une attente très précise, comme par exemple un conflit dans une équipe, une personne qui a du mal à s’intégrer ou un problème de cohabitation entre générations.” Des frictions sur lesquelles l’activité créative en groupe et le savoir-faire de Gilles de Fraguier peuvent mettre un bon coup de pinceau, selon le Français. “Si on n’aime pas travailler la pâte humaine, on ne reste pas dans ce métier !“, lance l’entrepreneur.
“Je n’ai pas fui la France”
S’il a décidé de revenir à Montréal, Gilles de Fraguier n’en reste pas moins attaché à la France et met en garde contre la tentation de voir l’herbe plus verte au Canada en rejetant l’Hexagone. “Je suis très content d’être revenu à Montréal, mais je n’ai pas fui la France, s’explique-t-il. Souvent, des Français me disent que j’ai fui la France car elle n’est plus vivable ou qu’on ne peut plus y vivre ou entreprendre, mais je leur dis que ce n’est pas vrai et de faire attention. Car je pense que si vous n’étiez pas bien en France, vous ne serez pas bien au Canada. Il n’y a pas de miracle, à un moment, il faut faire le choix d’être bien là où on est. Il y a des choses que je n’aime pas ici et d’autres que j’adore, tout comme en France.”