Amateurs de raclette, reblochon ou bleu d’Auvergne fraîchement débarqués à Montréal, il va falloir vous y faire : le fromage est beaucoup plus cher de ce côté-ci de l’Atlantique. Comptez en moyenne 10$ pour un camembert, 8$ pour de l’emmental et plus de 10$ pour le fameux oka québécois… Comment expliquer ces prix ? Nous avons mené l’enquête pour notre “question bête” de la semaine.
L’industrie laitière se hisse au deuxième rang du secteur agricole canadien, derrière le secteur de la viande rouge. “Pourtant, la fabrication du fromage ne correspond qu’à une petite partie de l’utilisation du lait produit (environ 5%)”, nous a expliqué David-Mercier Gouin, professeur en agro-économie à l’Université de Laval. À cela s’ajoute le fait que les fromages européens d’importation concurrencent fortement les fromages québécois, vendus plus chers sur le marché.
En 20 ans, l’industrie du fromage au Québec est passée à maturité. Selon le Centre canadien d’information laitière, la province comptait, en 2018, quelques 5 000 fermes laitières qui ont produit environ 336 000 tonnes de lait. Parmi elles, Agropur, Saputo, Kraft et Parmalat Canada se démarquent, notamment grâce à leurs cheddars et mozzarella. La province de Québec compte aussi une centaine de fromageries artisanales. Si ces dernières ne fabriquent qu’une petite partie du fromage, elles sont de plus en plus mises en avant sur le marché.
Et la bataille sur le marché du fromage au Québec ne fait que commencer : avec la mise en place du CETA/AECG (Accord économique et commercial global) entre le Canada et l’Union Européenne, deux fois plus de fromages européens pourront entrer sur le territoire canadien.
Selon Olivier Tourrette, fromager-affineur de La Cloche à Fromage, ‘‘les fromages au Québec sont environ 50 % plus chers que ceux qu’on peut trouver en Europe.’’ Et cela pour plusieurs raisons.
Une production de lait contingentée
Au Québec, le lait coûte plus cher qu’en France. ‘‘Le prix est fixé par l’UPA (Union des producteurs agricoles). Alors qu’un hectolitre de lait coûte 50$ en France, ici le producteur l’achète 70$ !’’, commente David-Mercier Gouin. Pour Olivier Tourrette, ‘‘l’industrie du fromage est entourée de lobbies négatifs, mais l’UPA est le pire de tous. Pour soi-disant protéger l’agriculture, les fromagers ont plus de contraintes que jamais et cela freine l’achat des consommateurs.’’
Chaque année, l’UPA évalue les fermes pour déterminer le coût de production du lait et fixer un prix de référence. Elle sonde ensuite les besoins de la population pour attribuer des quotas à chaque agriculteur. ‘‘Ces analyses ne sont pas fiables : ce sont les mêmes personnes qui analysent l’industrie du fromage et celle de la viande. Ce sont pourtant des secteurs qui n’ont rien en commun’’, regrette Olivier Tourette.
Même lorsqu’ils produisent leur lait eux-mêmes, les fromagers québécois le paient plus cher qu’en Europe : une aberration pour le propriétaire de La Cloche à Fromage. ‘‘Le producteur doit vendre virtuellement son lait à la Fédération des producteurs de lait du Québec et le racheter à un prix plus élevé. Même si le fromager possède aussi la boutique, il devra payer 125$ de transport, pour traverser la rue de la ferme laitière à la fromagerie !’’
Des marges détaillants importantes
‘‘Le fromage est perçu différemment au Québec et en France, déclare David-Mercier Gouin. Le camembert en France est un produit banal alors qu’au Québec, c’est un produit haut de gamme.’’ David Tourrette rejoint le professeur d’agro-économie sur ce point : ‘‘Au Canada, on ne fait pas de différence entre un fromage industriel et un fromage fin artisanal. Ils veulent seulement « du fromage »’’.
Selon David-Mercier Gouin, ‘‘comme le fromage est perçu comme un produit haut de gamme, les marges prises dans la filière de commercialisation sont plus élevées : le coût de distribution atteint 50% du prix de vente’’. Cela explique en grande partie que même les fromages québécois soient aussi chers. Une marge obligatoire pour David Tourrette. ‘‘Le fromager ne bénéficie pas de prix de gros sur les fromages. Que j’achète une meule ou 1/8 de comté, je paierai le même prix au kilo.’’
Un mauvais rapport qualité-prix
‘‘Les producteurs n’affinent pas beaucoup, souvent les fromages sont jeunes’’, explique le fromager. Alors que les coûts des matières premières restent très élevés, cela entraîne un mauvais rapport qualité-prix. ‘‘Il n’existe pas d’appellation pour les fromages québécois, pas de régionalisation des produits. Comme il n’y a pas de regroupements, chacun coûte plus cher’’, continue-t-il. Une mauvaise concurrence par rapport aux fromages importés donc.
Les habitudes de consommation ont la vie dure. Pourtant, Olivier Tourrette constate que de plus en plus de clients ‘‘s’éduquent et s’informent sur les fromages’’ et achètent exclusivement des fromages québécois, quitte à les payer un peu plus cher.