Sans ses escaliers extérieurs, Montréal ne serait pas tout à fait la même. Sur les cartes postales estivales, ils subliment les habitations colorées de certains quartiers. En hiver, on se demande qui a eu cette idée folle un jour d’installer des escaliers extérieurs (patinoires miniatures?) dans une ville où le verglas a ses habitudes. Voici quelques bouts de leur histoire, glanés ici et là dans le Dictionnaire historique du Plateau Mont-Royal — qu’on vous recommande de lire en entier.
C’est à la fin du 19e siècle que les premiers escaliers extérieurs, uniques en leur genre (ils n’existent pas ailleurs), font leur apparition sur les façades avant de certaines maisons montréalaises. “On n’en connaît pas exactement l’origine, mais cette apparition correspond à la popularisation du triplex en retrait du trottoir de la voie publique, à la volonté de donner un accès indépendant à chacun des logements superposés et de libérer de l’espace intérieur, du moins pour le logement du premier niveau, souvent celui du propriétaire occupant. Dans des cas moins fréquents, une deuxième volée d’escaliers extérieurs permet d’atteindre le troisième niveau”, peut-on lire dans le Dictionnaire historique du Plateau Mont-Royal.
On y apprend aussi que cette innovation architecturale et urbaine a connu une grande popularité auprès des constructeurs sans qu’elle soit pour autant prescrite par une quelconque réglementation municipale. “Mais, dès l’origine, elle est objet de controverse. Les décors de ferblanterie des couronnements qui nous ravissent aujourd’hui ont subi, eux aussi, les foudres de certains critiques d’architecture”, racontent les auteurs du Dictionnaire.
À tel point que, rapidement, des règlements interdisant la construction de nouveaux escaliers extérieurs sont adoptés, quartier par quartier, à partir de décembre 1935. En 1955, on les bannit partout à Montréal. Cette restriction ne sera levée qu’en 1980 ! Comme l’écrit aussi Pierre Bellerose ici, ce n’est que depuis 1994, qu'”il est possible de construire à nouveau des escaliers extérieurs dans les rues où il en existe déjà, et ce, afin de conserver le cachet du quartier.”
Voici quelques citations historiques savoureuses des partisans et opposants de l’époque :
Les POUR
“Indépendance des logements. Il faut autant que possible à chaque logement habité par une famille, son escalier, sa porte sur le dehors, ses privés à l’intérieur; c’est le sûr moyen d’éviter les heurts et les rencontres dont pourraient souffrir la bonne entente et les bonnes mœurs. […] La maison collective avec logements multiples, paliers et escaliers communs, si fréquente en Europe, si funeste souvent aux santés et aux mœurs, cette pernicieuse invention d’architectes ainsi que la qualifie dans un rapport le Régistrateur d’Ontario, est encore assez rare parmi nous, mais elle tend à s’y multiplier par suite de l’augmentation considérable de la valeur des terrains et du souci de réduire certains frais généraux, de chauffage par exemple.”
– Abbé E.E. Gouin, Le logement de la famille ouvrière, Montréal, L’École sociale populaire, 1912
Les CONTRE
Ces maisons, avec leurs escaliers, leurs balcons parfois énormes, leurs corniches en tôle découpée aux silhouettes les plus inattendues, ont un aspect de constructions temporaires, de bâtisses pour expositions provinciales. Pourquoi, sur nos toits, ces tourelles, ces minarets, ces simili-clochers en bois tôlés? Pourquoi ces complications si peu décoratives? […] Un règlement municipal qui s’occuperait un peu de l’esthétique des façades […] empêcherait nos rues de devenir des choses sans nom et peu dignes de l’importance
de Montréal.
– Fernand Préfontaine, Nigog, vol. 1, no 7, 1918
Vous ne les regarderez peut-être plus de la même façon en rentrant chez vous…