Quel est le point commun entre le Skywalk du Grand Canyon, les voitures Tesla, le musée d’Ellis Island à New York et les maisons de millions d’Américains ? Leur vitrage, fabriqué par Saint-Gobain. Le groupe français, géant mondial des matériaux de construction, est implanté depuis cinq décennies en Amérique de Nord. Il y est aujourd’hui l’un des leaders de la résidence individuelle, un marché revigoré par la pandémie. « La France est certes le premier marché de Saint-Gobain en termes de chiffres d’affaires et d’effectifs, mais en termes de résultats, les Etats-Unis sont le premier pays », précise, non sans fierté, le directeur général du groupe, Benoit Bazin, de passage à New York.
Saint-Gobain, que les Américains connaissent sous le nom de sa filiale CertainTeed, emploie 15.000 personnes aux Etats-Unis et au Canada, réparties entre son siège à Malvern, près de Philadelphie en Pennsylvanie, son centre de R&D à Northborough près de Boston – le deuxième plus gros de l’entreprise après celui de Paris – et ses quelque 160 usines des deux pays. Des usines qui n’ont jamais cessé de tourner durant la pandémie, considérées comme « essentielles ». Le leader du secteur de l’habitat y produit matériaux d’isolation, de toiture (roofing), de bardage (siding), et des plaques de plâtre. Ces activités génèrent un peu plus de 5 milliards de dollars de chiffres d’affaires aux Etats-Unis, dans un pays où la concurrence ne manque pourtant pas, avec les Owens Corning, Johns Manville, GAF et autres grands groupes américains du secteur de la construction.
« Le marché américain représente aujourd’hui 16% du chiffres d’affaires de Saint-Gobain, je veux qu’il dépasse les 20% en 2025, ambitionne Benoit Bazin qui connaît bien les Etats-Unis pour y avoir étudié (MIT après Polytechnique et Ponts) et travaillé durant ses vingt-trois ans de carrière au sein de l’entreprise. Depuis qu’il a pris les rênes du groupe en juillet dernier, le dirigeant de 52 ans s’est donné les moyens. Il a lancé un plan d’investissement de 400 millions de dollars, sur quatre ans, pour accroître la capacité de production de quatre sites aux États-Unis : celles d’isolants à Athens en Georgie et Chowchilla en Californie, celle de matériel de toiture également en Georgie, et un site de production de plaques de plâtre dans l’Arkansas, à proximité d’une carrière de gypse à ciel ouvert.
Plus de 6000 embauches en 2022
Ce « gros investissement de croissance » s’accompagnera d’embauches, précise Benoit Bazin. Plus de 6000 prévus l’an prochain, dont 2700 dans la construction. En produisant au plus près de ses clients, Saint-Gobain espère réduire encore, en pleine flambée des prix de l’énergie, les coûts de transports et les risques liés aux difficultés d’approvisionnement et d’acheminement des matériaux. « Croître en Amérique du Nord, c’est la priorité de Saint-Gobain et ça peut aller assez vite, prévoit-il. La croissance organique du marché américain va rester bonne et nous allons ajouter de nouvelles acquisitions ».
Les Etats-Unis construisent, en effet, à tour de bras pour satisfaire l’appétit retrouvé des Américains pour la maison individuelle. Malgré un léger fléchissement récemment en raison des coûts élevés des matériaux, notamment du bois et du cuivre, et de la pénurie de main-d’œuvre, les mises en chantier de logements s’élevaient à 1,52 million le mois dernier, contre un million en moyenne ces dix dernières années. « Après le covid, tout le monde a envie d’être bien chez soi et d’avoir de la place pour le télétravail », explique Benoit Bazin.
Efficacité d’exécution à l’américaine
Aller vite, c’est d’ailleurs la méthode de cet ancien joueur de hockey sur glace. La rapidité avec laquelle il avait négocié, il y a deux ans, le rachat du spécialiste américain de la plaque de plâtre Continental Building Products – en à peine deux mois -, avait surpris tout le monde. « J’ai parlé au patron la première fois le 3 octobre pour lui dire que nous souhaitions acheter son entreprise et nous avons annoncé l’acquisition le 12 novembre. Le 13, j’ai visité les trois usines avec Mark Rayfield (le patron Amérique du Nord de Saint-Gobain, les deux hommes se connaissent depuis vingt ans), nous avons vu les deux tiers des employés, 48 heures après l’acquisition. » Benoit Bazin se dit très attaché à la vitesse et à la qualité d’exécution dont font preuve les Américains, « on avance, on ne gamberge pas, on ne se pose pas cinquante questions ».
Ce management à l’américaine peut surprendre au sein de l’entreprise française, soucieuse par tradition des transitions en douceur. Mais l’efficacité avec laquelle Benoit Bazin a su imposer une réorganisation complète du groupe par pays et non plus par ligne de produits mondiale, avec la nomination de patrons nationaux à leur tête, a offert à Saint-Gobain la flexibilité et proximité nécessaires pour surmonter la crise sanitaire et confirmer son virage vers la construction durable.
Saint-Gobain reste encore un grand consommateur de gaz naturel. Mais en faisant le choix de s’approvisionner auprès des grands parcs d’éoliennes du Midwest, là où le groupe possède de nombreuses usines, 80 % de son électricité est aujourd’hui « verte » aux Etats-Unis – solaire compris. Restent encore quelques traces d’un passé moins green. Saint-Gobain vient de conclure un accord financier de 34 millions de dollars pour indemniser les habitants d’une ville du Vermont. Une affaire de contamination chimique au PFAO par l’un de ses anciens sites de production de Téflon, fermé en 2002. Une transaction similaire a déjà été conclue dans l’Etat de New York et une autre est en cours de négociation dans le New Hampshire.
Saint-Gobain se veut aujourd’hui exemplaire, visant la neutralité carbone en 2050 et la place de leader mondial des produits de construction durable – 80% de ses ventes. De retour de la COP26 à Glasglow, Benoit Bazin se félicite de voir l’administration américaine réengagée dans la lutte contre le changement climatique. Il vise grand aux Etats-Unis, au-delà même des activités du non résidentiel, en cherchant des collaborations similaires à celles déjà nouées avec le groupe automobile Tesla et avec de grands architectes internationaux. Benoit Bazin développe déjà des équipes et peaufine une organisation dans ce sens. Un nouveau défi pour ce passionné de grimpe en montagne, avec 2025 dans le viseur, date à laquelle Saint-Gobain fêtera ses 360 ans d’existence.