Dans un vaste atelier niché dans le quartier montréalais d’Hochelaga, les artisans s’affairent sur leur ouvrage. Dès que l’on pousse la porte de LESPACEMAKER, les sons métalliques, le parfum du bois travaillé et l’odeur enivrante de la peinture stimulent les sens. Au premier étage de la pépinière, dans l’un de ses recoins lumineux, Baptiste Le Gars s’applique chaque jour à perpétuer l’art du cuir.
À l’aube de ses quarante ans, Baptiste Le Gars semble avoir eu mille vies. S’il a commencé sa carrière en banlieue parisienne dans le domaine des formations en ligne, son âme nomade l’a rapidement détourné des sentiers traditionnels et de la vie de bureau.
Voyageur infatigable, il a sillonné le monde pendant des années. Il a rencontré sa femme au cours de ses pérégrinations en Amérique latine. La construction de leur famille au Québec n’a nullement calmé leurs envies de voyage. Leur fille, qui vient de fêter son premier anniversaire, a déjà traversé Taïwan à bord d’un van.
« Dans ma vie, j’ai beaucoup stimulé mon énergie féminine, mon côté créatif », explique l’artisan qui a exploré divers univers dans lesquels il a multiplié les expériences. De jongleur de rue à Londres à champion de slam en France en passant par photographe à Montréal, ses tranches de vie ont contribué à forger son identité d’artisan.
« En matière de durabilité, rien ne vaut le cuir. Si tu en prends bien soin, il peut te survivre », affirme Baptiste Le Gars. Son entreprise créée en 2020, Le Gars Leathercraft, propose de la maroquinerie sous toutes ses déclinaisons, et continue de se diversifier.
Le créateur souhaite façonner des pièces durables au style intemporel. S’accrochant à une approche personnalisée, il se frotte à des commandes spéciales parfois inattendues : des sangles de guitare country, des sacs inspirés de l’armée suisse et même des étuis pour pistolets. Chaque pièce raconte une histoire unique et révèle l’authenticité de son artisanat.
Soucieux de la cause environnementale et désireux de voir ralentir les modes de consommation, Baptiste Le Gars travaille sur un cuir résistant. Le matériau qu’il utilise est le fruit d’un tannage végétal, qui tire sa souplesse et sa patine naturelle de tanins extraits d’écorces d’arbres. Il s’engage à contre-courant de l’industrie, qui tanne aujourd’hui plus de 90% des peaux avec des sels de chrome et autres produits chimiques très polluants pour les cours d’eau. « Mais il reste tout de même d’autres défis comme l’utilisation de l’eau, la déforestation pour se procurer le tanin », précise l’artisan.
« C’est ça l’Amérique du Nord, ça donne envie d’entreprendre ! Je ne me serais jamais lancé en France, mais ici il n’y a pas cette peur de l’échec et du jugement. Ici tu peux tenter, et si ça ne marche pas tu peux essayer autre chose », assure Baptiste Le Gars avec aplomb. Ce dernier raconte qu’après avoir atteint 35 ans et vécu ses années d’expériences de vie et de voyage, il ne s’imaginait pas travailler de nouveau derrière un bureau.
En analysant les possibilités qui s’offraient à lui, il s’est surpris à hésiter entre travailler le cuir et faire des crèmes glacées. Il a finalement fait ses premières armes en maroquinerie lors d’un stage au Mexique. « J’ai trippé, on devait dessiner notre propre produit, on est allés visiter une tannerie, on devait choisir notre peau », se souvient-il.
En faisant le grand saut dans l’entrepreneuriat durable, Baptiste Le Gars a dû compter sur sa persévérance, ses petits boulots et le soutien de sa femme. Quatre ans se sont écoulés entre le début de son projet et le perfectionnement de sa première collection de cuir, lancée le mois dernier.
Il gère son entreprise seul, à temps plein. « C’est tellement plus stimulant, la production ce n’est pas tout quand on est entrepreneur. Je fais tout, la communication, le branding, les réseaux sociaux, la comptabilité… c’est tellement un monde entier », explique l’entrepreneur.
Baptiste Le Gars évolue dans le milieu du mouvement maker. Cette culture invite à reprendre possession des moyens de production en faisant les choses soi-même, tout en mobilisant à la fois la technologie et les techniques et matières plus naturelles. « L’esprit maker, c’est jusqu’à vouloir fabriquer ses propres meubles », illustre l’artisan.
Dans son atelier communautaire d’Hochelaga, LESPACEMAKER, il offre régulièrement des ateliers introductifs aux nouveaux membres de l’association qui souhaitent s’approprier l’espace.
Le prochain défi de Baptiste Le Gars est de transmettre ses compétences aux jeunes et aux plus âgées, de montrer que l’on peut faire beaucoup de ses propres mains : « Je veux faire découvrir, réfléchir aux produits que l’on consomme, qu’est-ce que c’est, d’où ça vient… et apprendre à faire les choses soi-même. »
Dans cette même logique, il s’apprête à lancer des kits DIY (Do it yourself) pour permettre à ceux qui le souhaitent d’assembler et peaufiner leur propre pièce de maroquinerie.