“Vous êtes locataire et pensez déménager ? Bon à savoir : les logements disponibles à Montréal sont plus rares cette année.” C’est par ce tweet que la Ville de Montréal avait commencé à tirer la sonnette d’alarme mi-mars. Depuis, le nombre de locataires inquiets de ne pas trouver un toit à temps ne cesse d’augmenter. Parmi eux, des Français qui “galèrent” parfois autant qu’à Paris.
“C’est très très dur, même en ayant un emploi fixe et en gagnant plus de 3 fois le loyer, de trouver un appartement à Montréal !”, nous avait confié Florian Leclercq en février, lorsqu’il était alors en pleine quête du graal (un 3 1/2) à Montréal. “Je ne m’attendais pas à ça d’autant que ma cousine vit ici et qu’elle n’a jamais eu de mal à trouver un appartement. Le phénomène a l’air très nouveau !”, lance celui qui a fini par trouver son nid après plusieurs périodes de stress et d’incompréhension.
“J’avais un budget et des lieux de recherche très précis”, raconte le Français qui ne comptait pas débourser plus de 950$ pour son loyer ni s’installer ailleurs qu’à Verdun, Hochelaga ou à proximité de la station Monk. “Si tu as un budget de plus de 1000$ par mois, tu galères moins, c’est certain. J’ai un collègue qui a trouvé relativement facilement un 3 1/2 meublé à 1200$, par exemple”, raconte le chargé de développement, heureux locataire d’un “grand 3 1/2 à 850$ par mois” à Verdun, quartier bobo en devenir selon ses dires. “Je sais que l’année dernière, le loyer du logement que j’occupe actuellement était de 770$ par mois…”, a constaté Florian Leclercq, contraint de se faire une raison, qui a visité énormément de “choses délirantes” du côté de Verdun. “Pour des loyers de 1000$ par mois, je ne compte plus le nombre d’appartements peu entretenus avec des installations électriques douteuses que j’ai pu visiter, et non meublés bien sûr”, confie le jeune homme avant d’ajouter que pour 850$ de loyer, le bien convoité était souvent “dans un état catastrophique”.
Pas d’historique de crédit, pas d’appartement
“Quand je trouvais des appartements convenables, souvent, je me faisais passer devant car je n’avais pas d’historique de crédit… Or, les proprios se basent là-dessus pour être sûrs qu’ils ont affaire à de bons payeurs*”, rapporte Florian Leclercq qui estime néanmoins que le fait d’être un nouvel arrivant a joué en sa faveur. “Après avoir vérifié la stabilité de mon emploi et mes revenus, la propriétaire m’a fait savoir qu’elle adorait les nouveaux arrivants car “ils ne font pas de vague, pas de bruit et paient à temps””, raconte le Français qui a profité, malgré lui, de sa situation.
“Elle ne m’a même pas demandé mon historique de crédit. Ça s’est joué au feeling, on a parlé pendant 20 minutes avant que je visite et que tout le monde arrive”. Car comme à Paris ou Annecy, il faut maintenant faire la queue pour espérer visiter un appartement à Montréal. “Je l’ai vécu à Annecy, c’était très compliqué de trouver un logement, il y avait souvent des piles de dossiers devant le mien et des files d’attente interminables…”, se souvient Florian Leclercq, habitué à se démener pour trouver un toit. “J’ai revécu ça à Montréal !”
Pratiques illégales
“J’avais trouvé un autre appartement à Verdun avec un loyer à 875$ par mois : le propriétaire ne me demandait pas mon historique de crédit mais de lui payer un mois à l’avance en plus des deux derniers mois du bail”, confie le Français qui ne s’est pas fait plumer. Encore heureux. “C’est interdit, je le savais ! Certains propriétaires profitent de la crédulité de certains Français habitués à de telles pratiques en France”.
De son côté, Léa Lambert (ndlr, le nom a été modifié) a également mis du temps à trouver un logement à Montréal, sur Le Plateau. Et d’après elle, son accent français (de Marseille) et ses deux enfants y sont pour quelque chose. “Certains propriétaires québécois m’ont fait des remarques sur mon nom “très” français. D’autres ont estimé, à ma place, que le logement ne convenait pas à la taille de ma famille. Si, en plus, j’avais eu des animaux, je n’imagine même pas… Mais de quoi ils se mêlent ?”, rapporte la Française, remontée, qui a n’a pas arrêté de visiter “des appartements trop petits ou biscornus voire carrément bizarres”.
“Certains propriétaires m’ont même demandé de l’argent pour réaliser une enquête de crédit sur mon dos, des frais non remboursables évidemment…”, raconte celle qui n’a même pas eu l’occasion d’être mise sur le grill de l’enquête de crédit. C’est finalement un propriétaire originaire d’Ottawa qui a accepté de lui louer un logement à Montréal. “Le contact est super bien passé avec lui ! Ça ne m’étonne pas, les Canadiens anglophones ont tendance à être plus ouverts que les Québécois ces derniers temps avec les Français, il faut l’avouer”, déplore la Marseillaise qui ne mâche pas ses mots. “Au final, pour trouver un logement, j’ai changé ma façon de faire pour mettre toutes les chances de mon côté : j’ai appris à me vendre en expliquant ce que je fais ici, avec qui je vis, où je travaille, etc. Comme si je passais un entretien d’embauche, en fait !”, raconte Léa Lambert, résignée mais soulagée d’avoir trouvé un toit pour sa famille.
Laurie Marolleau, quant à elle, est au “point mort” dans ses recherches de logement meublé à Montréal depuis la France. Et pour cause, le seul appartement qui lui correspondait n’existait que sur internet. “Je ne me suis pas faite avoir, puisque je me suis arrêtée avant de payer quoi que ce soit en flairant l’entourloupe”, raconte la Française qui se méfie de plus en plus surtout quand le prix de loyer est “alléchant”. “Ils m’ont demandé une caution (ndlr, c’est illégal au Québec), ensuite ils ont augmenté le loyer sans explication avant de me renvoyer vers une soit-disant comptable (ndlr: elle n’existait pas) en me pressant de lui envoyer mon paiement dans les 24h…”, confie celle qui n’était pas en mesure de payer puisque “les banques françaises mettent au minimum 48h pour accepter un nouveau RIB”. Pour une fois, la lenteur du système a du bon.
Montréal se rapproche de Boulogne-Billancourt
La règle d’or, selon Benjamin Guillou-Nisin, courtier immobilier résidentiel à Montréal, c’est de connaître le marché où l’on met les pieds et surtout de ne pas visiter un logement à distance. “On ne paie jamais un logement à distance non plus ! On peut se faire représenter par des amis sur place pour visiter ou faire appel à un courtier”, explique le spécialiste français.
Interrogé sur la pénurie de logements dans la métropole, Benjamin Guillou-Nisin rappelle qu’elle a déjà existé au début des années 2000 et qu’il s’agit d’un phénomène cyclique. “Mais le retournement du marché de la location actuel s’explique en partie parce que les logements proposés sont surtout des logements neufs”, explique-t-il. Résultats : les prix des loyers sont plus élevés qu’avant. “Mais ce sont des logements qui partent quand même vite, et parfois à des prix déconnectés du marché, même quand on les compare aux prix des marchés européens. Cela devient très cher à Montréal”, constate Benjamin Guillou-Nisin qui n’hésite pas à comparer les prix de certains logements montréalais à ceux de la banlieue parisienne, et de la banlieue Ouest en particulier.
“Aujourd’hui, un 50 mètres carré neuf à Boulogne-Billancourt c’est 1400€ par mois environ : on n’est pas loin de ces prix-là dans le centre de Montréal, ou du côté de Griffintown, de Westmount et d’Outremont ! Ce sont des quartiers qui ont toujours été plus chers historiquement“, raconte le Français qui, en revanche, ne s’explique pas certains loyers “déraisonnables” à d’autres endroits de la métropole. “On arrive à des tarifs de location très élevés pour des quartiers qui ne les valent pas du tout, comme Rosemont, Villeray ou Saint-Henri pour ne citer qu’eux”, estime le courtier selon qui les propriétaires qui ont acheté du neuf “très cher” proposent maintenant leurs biens à coups de loyers déconnectés des quartiers, où aucun équipement (commerces, écoles, transports, parcs, etc) ne justifie ces prix. “Paradoxalement, et je pèse mes mots, mais aujourd’hui Outremont devient presque abordable comparé à Rosemont ou Villeray !”, raconte le courtier français qui connaît le marché comme sa poche.
“Beaucoup de Québécois trouvaient que Le Plateau était trop cher, ils ont donc investi le bas de Rosemont et le bas de Villeray tous en même temps, cela a donné lieu à une explosion des prix dans ce coin-là où il y a une surenchère déraisonnable selon moi”. Benjamin Guillou-Nisin se veut quand même rassurant et prévoit que le marché se régule tout seul. “Les prix ne pourront pas continuer à augmenter de la sorte aux quatre coins de Montréal, ce n’est pas possible. D’autant que les salaires ne suivent pas ! Il va y avoir un tassement qui a déjà commencé, d’ailleurs. Les propriétaires vont être obligés de corriger leurs prix, au risque de ne trouver personne”.
S’adapter à la situation
Enfin et en bref, voici quelques astuces pour maximiser vos chances de trouver un appartement à Montréal en 2019 (en plus de ce que préconise la Ville) : avoir un bon feeling avec les proprios, s’éloigner des métros (même si le quartier n’est pas trop prisé) et miser sur les non-meublés. Enfin, s’il est illégal que les proprios réclament un dépôt de sécurité aux futurs locataires, “rien ne vous empêche d’en proposer un pour réserver un logement afin de prouver vos capacités financières”, confie Benjamin Guillou-Nisin.
* En Amérique du Nord, un bon consommateur est un consommateur qui vit à crédit. Plus vous vivez à crédit (en respectant les dates de remboursement), plus votre banque vous considère comme un “bon client” et vous accorde des prêts. Une agence (Equifax ou TransUnion) examine la façon dont vous gérez votre argent, vous crée un historique de crédit et vous note. Ainsi, peu d’établissements bancaires confient des cartes de crédit aux nouveaux arrivants si vous n’avez pas d’antécédents bancaires sur le territoire. C’est la même tendance du côté des propriétaires, frileux à l’idée de faire confiance à ceux qui n’auraient pas encore d’historique de crédit.