Pourquoi les Canadiens arborent-ils un coquelicot début novembre ? 

Pourquoi les Canadiens arborent-ils un coquelicot début novembre ? 

Par Carla Geib / Le 9 novembre 2025 / Question bête

Chaque automne, après l’Halloween, un petit coquelicot rouge apparaît sur les manteaux de nombreux Canadiens, et ce jusqu’au 11 novembre. À la télévision, dans les écoles, dans la rue, ce symbole est partout. On le sait, il évoque le Jour du Souvenir et la Première Guerre mondiale. Mais d’où vient précisément cette tradition du coquelicot, et que dit-elle sur la mémoire collective du pays ?

La fleur des champs de bataille 

Pour remonter aux origines de ce symbole, il faut se rendre jusqu’au lieutenant-colonel John McCrae, un poète et médecin militaire canadien.

De 1914 à 1918, des milliers de soldats sont tombés sur le champ de bataille. Après les combats, les sols retournés voyaient pousser… des milliers de coquelicots. Ces fleurs rouges vives recouvraient les champs où reposaient les corps des soldats.

Le contraste entre la beauté fragile du coquelicot et l’horreur des tranchées a frappé les esprits. En 1915, John McCrae écrit un poème iconique, « In Flanders Fields », dans lequel on peut lire :
In Flanders fields the poppies blow 
Between the crosses, row on row…

Ce qui se traduit par :
Dans les champs de Flandre, les coquelicots se balancent
Entre les croix, rangée après rangée…

Ce texte, publié dans plusieurs journaux, a ému le monde anglophone, et le symbole s’est rapidement répandu. En 1921, il a été officiellement adopté par la Légion royale canadienne, la Royal British Legion et plusieurs pays du Commonwealth, pour devenir l’un des symboles du Jour du Souvenir (le bleuet en est un autre).

Selon Carl Bouchard, professeur titulaire au département d’histoire de l’Université de Montréal, ce coquelicot a une forte valeur symbolique : « Cette fleur, dès qu’on la cueille, elle fane, donc ça renvoie à la fragilité de la vie ».

Selon ce dernier, il existe même une raison scientifique à cette floraison sur les champs de bataille dévastés : « Les coquelicots apprécient le méthane, donc la décomposition des corps favorisait le fleurissement. » Un détail que les soldats de l’époque ignoraient probablement.

Une guerre fondatrice

La Première Guerre mondiale a fait des millions de morts et laisse un souvenir tragique, mais dans l’esprit des Canadiens, elle a une résonance toute particulière. Elle est considérée comme un tournant majeur dans la construction de leur identité nationale.

Au début de la guerre, le Canada est politiquement lié à la Couronne britannique en tant que Dominion du Commonwealth. Pourtant, à la fin du conflit, le Canada obtient le droit de signer le Traité de Versailles en tant que pays. Si cela a servi à l’Empire britannique pour s’assurer une voix de plus dans la Société des Nations, ce n’en est pas moins une affirmation politique nationale. (voir l’article Pourquoi le Canada a-t-il encore un roi ?)

Cette signature marque le premier pas vers le Statut de Westminster de 1931, qui donnera au Canada son indépendance totale en matière de politique étrangère.

Une guerre, plusieurs mémoires

« Pour les Canadiens, il y a quelque chose dans cette guerre de glorieux, d’héroïque, de positif », affirme le professeur Carl Bouchard.

Il poursuit : « On ne voit pas la guerre comme une catastrophe, comme ça peut être le cas des pays européens et en particulier des Français, pour qui ça a été un choc absolument monumental, des deuils par millions, une reconstruction terrible, une instabilité incroyable dans l’entre-deux-guerres. Du côté canadien, cette guerre-là est vue comme un point d’affirmation national. Justin Trudeau a même dit que le Canada était né dans la bataille de Vimy ! »

Sursaut impérialiste

Les premiers soldats canadiens qui entrent en guerre le font de façon volontaire, avec l’idée en tête de sauver l’Empire. Carl Bouchard parle d’un « sursaut impérialiste » qui s’empare des Canadiens.

Au début du conflit, l’armée canadienne n’est composée que de 3 000 soldats. Mais des centres de recrutement s’ouvrent partout, et 32 000 volontaires s’enrôlent. Le premier ministre conservateur, Robert Borden, promet alors 250 000, puis 500 000 soldats. Un défi de taille pour un pays d’environ 8 millions d’habitants à l’époque.

Sur le front, les Canadiens se forgent une bonne réputation. Le Corps canadien change la donne lors de la victoire à la crête de Vimy en avril 1917. Le professeur souligne l’importance symbolique de cette bataille : « La victoire canadienne à Vimy est le seul ciel bleu qu’on a au printemps 1917 du côté des troupes de l’Empire ».

L’histoire révèlera que les Allemands préparaient un repli stratégique au moment de l’offensive canadienne, « mais pour le Canada, ça reste un moment de gloire », précise-t-il. La preuve apparaît d’ailleurs sur le billet de 20 dollars canadien. C’est le Mémorial national du Canada à Vimy que l’on voit apparaitre.

La crise de la conscription

Difficile de parler de l’implication canadienne sans évoquer la crise de la conscription. L’engouement face à la guerre s’est rapidement essoufflé, et le premier ministre a fini par mettre en place l’enrôlement obligatoire, la conscription. À ce moment-là, des manifestations et des émeutes ont éclaté.

De nombreux Canadiens français ont refusé de participer au conflit, car ils ne ressentaient pas de sentiment d’appartenance envers le Royaume-Uni. Les porte-paroles de ce mouvement de révolte francophone étaient Henri Bourassa et Wilfrid Laurier (vous saurez maintenant pourquoi les stations de métro portent ces noms).

La crise de la conscription a ainsi créé une rupture importante au sein de la population, dont les échos se sont fait sentir pendant des décennies.

Se souvenir, un devoir permanent

Après la guerre, l’idée s’est imposée que les générations devaient entretenir la mémoire de ce conflit, se souvenir et éviter que cela ne se reproduise. C’est dans cet objectif qu’a été créé le Jour du Souvenir.

D’un pays à l’autre, qui dit mémoire différente, dit rapport à la commémoration différent.

  • En France, dans la mémoire collective, le 11 novembre est avant tout un jour férié, mais la mémoire de la Première Guerre mondiale est partout ailleurs : dans les monuments aux morts installés dans toutes les communes, dans la flamme de la tombe du soldat inconnu ravivée chaque jour à Paris. Selon Carl Bouchard, « il y a une forme mémorielle très large dans l’espace public français ».
  • Le Canada, lui, se souvient de manière plus concentrée, en arborant le coquelicot non pas une journée, mais bien pendant les onze jours qui précèdent le 11 novembre. Porter le coquelicot est un geste de mémoire collective fort, une affirmation identitaire qui rend hommage aux près de 61 000 soldats canadiens qui ont laissé leur vie sur les champs de bataille.

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