La monarchie britannique n’est pas qu’un vestige du passé : elle s’affiche encore partout au Canada, du serment de citoyenneté jusqu’aux billets de banque. Le roi Charles III vient même de prononcer le discours du trône. Après tout, il reste officiellement chef de l’État. Pourquoi ce lien persiste-t-il ? Et que signifie-t-il aujourd’hui, concrètement ?
Le Canada et la monarchie
Un peu d’histoire pour commencer. Le Canada est fondé en 1867 par des colonies britanniques. À l’époque, on parle de Dominion du Canada.
« L’Empire britannique a construit le Canada comme une réponse géopolitique aux États-Unis », explique l’historien Édouard Baraton. Selon lui, si le Canada est devenu un État, c’était en partie pour éviter une annexion potentielle par les États-Unis.
Le pays devient un État pleinement indépendant en 1931 avec le Statut de Westminster, qui lui permet de légiférer sans passer par Londres. Il affirme son autonomie face à la monarchie britannique, sans pour autant rompre avec elle. Il devient un membre à part entière du Commonwealth.
Bon à savoir : Si le roi Charles III est chef d’État du Canada non pas parce que le pays fait partie du Commonwealth, c’est parce que le Canada est une monarchie constitutionnelle indépendante qui a choisi de conserver un monarque, en raison de son histoire politique et juridique.
Jusqu’en 1977, chaque citoyen canadien était également sujet britannique. Aujourd’hui encore, par exemple, un citoyen canadien peut se présenter aux élections britanniques. Lorsqu’il est absent du Canada – c’est-à-dire presque toujours –, le roi est représenté par la gouverneure générale, Mary Simon.
On retrouve également la Couronne dans tout l’appareil d’État : dans les lois – qui exigent la sanction royale – jusqu’aux organismes publics comme Radio-Canada, société d’État dite « de la Couronne ». La monarchie demeure profondément ancrée dans les institutions canadiennes.
Le Canada entre deux mondes
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le Canada a renforcé ses alliances. Il est resté proche du Royaume-Uni, tout en se liant stratégiquement aux États-Unis. Depuis 1958, il fait partie du périmètre de défense nord-américain avec les États-Unis via l’accord bilatéral NORAD.
« Le Canada est fragile, il n’a pas été pensé pour fonctionner tout seul », affirme Édouard Baraton. Une fragilité réapparue avec les tarifs douaniers et les menaces répétées de Donald Trump envers son voisin du Nord. Un sondage a même révélé en mars que 44 % des Canadiens souhaiteraient voir leur pays rejoindre l’Union européenne.
Ce désir de rapprochement avec l’Europe reflète une quête d’ancrage. Pris entre les grands pôles d’influence que sont les États-Unis et l’Europe, le Canada cherche des liens forts. Dans ce climat incertain, la figure du roi sert alors de point de stabilité symbolique. Le nouveau premier ministre Mark Carney a d’ailleurs clairement montré une intention de se rapprocher du continent européen. En rencontre avec Emmanuel Macron, il a déclaré que le Canada était « le plus européen des pays non européens ».
En invitant le roi Charles III à prononcer le discours du trône à Ottawa – une première depuis les années 1970 –, Mark Carney a voulu incarner cette stabilité symbolique et « réaffirmer la souveraineté du Canada ».
Le Québec et la monarchie : un désamour assumé
Ce lien étroit avec la monarchie divise. Dans les années 1970, Pierre Elliott Trudeau prône un Canada bilingue et multiculturel. Il incarne une volonté de modernisation et d’autonomie. En 1982, il fait rapatrier la Constitution canadienne — sans l’accord du Québec (voir la nuit des longs couteaux) — un geste fort d’indépendance vis-à-vis de la monarchie. Déjà en 1965, son gouvernement avait contribué à l’adoption du drapeau à la feuille d’érable, symbole d’un nouveau départ. Un pas vers un Canada plus souverain, et une prise de distance avec la monarchie britannique.
Au Québec, ce détachement est encore plus affirmé. L’attachement à la monarchie y est historiquement faible, voire inexistant. Héritage colonial oblige, l’antimonarchisme est assumé depuis longtemps. Et il continue de s’exprimer : à peine le discours du trône terminé et le roi Charles III monté dans son avion, l’Assemblée nationale du Québec a voté, à l’unanimité, une motion pour couper les liens avec la monarchie. Aucune abstention. Le message est clair : le Québec ne veut plus de roi.
Ce rejet est symbolique et politique, mais le Québec – tant qu’il est une province et non un État – ne peut pas concrètement rompre avec la monarchie.
Le Commonwealth, c’est quoi ?
Le Commonwealth est une organisation créée en 1926, au cœur de la décolonisation de l’Empire britannique. Après la Seconde Guerre mondiale, la reine Élisabeth II a repensé son rôle pour l’adapter à ce nouveau monde post-colonial. Son objectif : transformer cette ancienne structure coloniale en un réseau volontaire de coopération. La Déclaration de Londres, signée en 1949, affirme que ses membres sont « libres et égaux, coopérant librement dans le même but de paix, de liberté et de progrès ».
Aujourd’hui, le Commonwealth regroupe 56 pays, dont certains n’ont jamais été des colonies britanniques (comme le Rwanda ou le Gabon). Parmi eux : l’Inde, le Nigeria, l’Australie, l’Afrique du Sud, le Canada, et même de petits États comme Tuvalu ou encore la Barbade.

Ensemble, ces pays représentent 2,7 milliards de personnes, soit un tiers de la population mondiale. À leur tête : le roi Charles III, qui n’exerce un pouvoir symbolique que dans les monarchies, comme le Canada ou l’Australie.
Sortir de la monarchie, c’est possible ?
Techniquement, oui. Politiquement, c’est une autre histoire. Il faudrait un vote unanime à tous les niveaux gouvernementaux. Et la monarchie est profondément imbriquée dans le système politique canadien. La gouverneure générale – qui représente le roi sur le territoire – doit apposer une sanction royale sur chaque loi avant qu’elle puisse entrer en vigueur.
Le Parlement canadien, lui aussi, est structuré sur un modèle monarchique. En sortir nécessiterait une réforme profonde. « Ce serait un pas de plus vers une absorption, une perte de visibilité internationale, à moins d’une mutation profonde du système politique », estime Édouard Baraton.
Mais cela reste possible. La Barbade, par exemple, a quitté la monarchie en 2021 pour devenir une république parlementaire.
Quitter le Commonwealth ?
Ça, c’est plus simple. « Il suffirait que le gouvernement fédéral écrive au secrétariat général à Londres pour le signifier », explique Édouard Baraton. Ce retrait n’aurait pas de conséquences sur la monarchie. Ce sont deux choses différentes. Le Commonwealth est une organisation volontaire. En sortir signifierait juste cesser de participer à ses programmes, rencontres et projets.
Un lien désuet ? Peut-être. Mais pour d’autres, il reste un filet de sécurité. Et l’invitation du roi dans ce contexte de tensions internationales en est la preuve. Toutefois, ce sujet continue de diviser.