Ils ou elles sont passé(e)s par le cours Florent et/ou ont joué la comédie en France, mais cela ne leur a pas servi de sésame pour se faire une place au soleil au Québec. Accent français, un réseau qui ne les attend pas, absence de statut protecteur… Quatre acteurs et actrices de Montréal nous racontent leur expérience.
“L’accent est un défi de taille”
Kévin Desmarescaux sortait du cours Florent, suivi en parallèle d’une carrière de cadre, lorsqu’il a décidé de tenter sa chance au Québec en 2010 “pour faire autre chose“. Dès son arrivée à Montréal, il continue à prendre des cours d’art dramatique. Rentré en France pour un problème de visa, il y enchaîne les contrats pour la télévision et le cinéma avant de revenir au Québec où il obtient une résidence permanente en 2014, mais les propositions de rôles ne se bousculent pas.
Très vite, il se heurte à un obstacle majeur : son accent. “L’accent est un défi de taille, confie le comédien (…). C’est très discriminant, en particulier au cinéma et à la télévision“. Kévin Desmarescaux a essayé d’adopter l’accent québécois, puis arrêté. “C’est un travail faramineux qui est faisable, mais j’ai beaucoup plus de facilités aujourd’hui à parler anglais sans accent“, confie l’acteur qui est finalement “davantage sollicité au Canada pour des rôles en anglais qu’en français“. Pour le moins ironique pour un acteur français !
Le comédien évoque également un autre défi important rencontré au Québec : l’absence de statut d’intermittent du spectacle. “Si on ne veut pas perdre son argent ni sa tête, il faut avoir un travail à côté !“, conseille l’acteur. Aujourd’hui, son poste de directeur de vol chez Air Transat lui permet d’accepter sereinement des petits contrats, surtout pour le plaisir. “Je laisse venir à moi les contrats, qui vont être principalement de la publicité : photos, pubs jouées ou silencieuses“. L’acteur a trouvé un équilibre, mais souhaite renouer avec la scène car “le théâtre, le jeu, (lui) manquent énormément“.
“J’ai eu des rôles de Française caricaturale”
Nadine Rabatel est également diplômée du cours Florent et a de l’expérience au théâtre et à la télévision en France lorsque “fatiguée, saturée de Paris“, elle décide de se frotter aux planches québécoises, en 2009. Dès son arrivée, elle décroche un rôle dans un festival de théâtre qui lui ouvre un réseau. Mais elle peine par la suite à sortir de rôles récurrents qui lui collent à la peau. “J’ai eu des rôles de Française caricaturale : chiante, râleuse… Ou alors à l’inverse très érudite, on me donnait par exemple des rôles d’avocate. Je suis rarement sortie de ça”, confie la comédienne.
Pourtant, la Française, qui enseigne le théâtre en parallèle, ne cesse d’élargir son réseau professionnel en tournant dans des courts-métrages trouvés sur Kijiji puis en intégrant le Mouvement Kino. “J’ai fait des rencontres solides“, raconte Nadine Rabatel. De fil en aiguille, elle met en scène une pièce de théâtre qui rencontre le succès en 2016 et 2017. Mais l’actrice réalise au fil des castings la difficulté de pénétrer un “petit” milieu. “Ici le réseau est très restreint. Si on ne sort pas de l’Ecole nationale de théâtre du Canada ou du Conservatoire de Québec ou de Montréal, c’est beaucoup plus difficile de percer. Et même certains de mes amis québécois qui en sortent galèrent, constate Nadine Rabatel, qui a fini par en avoir assez de “vivoter“, sans statut d’intermittent. “J’ai toujours tourné, mais de là à en vivre, non, ce n’était plus possible“.
La Française a finalement choisi une autre voie pour vivre sa passion, en la mettant au service d’un engagement social. Reprenant des études à l’Université de Montréal, elle enseigne notamment le théâtre à de jeunes immigrants et/ou à de futurs élèves du Conservatoire en Cégep. “C’est drôle, je ne suis pas assez québécoise pour décrocher des rôles, mais suffisamment bonne pour enseigner !“, ironise la comédienne dans un éclat de rire.
“L’Union Des Artistes, c’est comme un club privé!”
Celia Laguitton et Sarah Dreyfus (photo en Une de notre article) ont connu des difficultés similaires pour percer le réseau québécois et s’appuient sur d’autres sources de revenu pour vivre leur passion pour le jeu. Venues toutes les deux au Québec pour suivre leur compagnon, elles se sont vite rendu compte que, pour “être reconnu(e) comme artiste“, il faut s’inscrire au syndicat qui compte : l’Union des Artistes (UDA). Oui, mais pour ça, il faut de l’expérience…
“C’est comme un club privé !, analyse Sarah Dreyfus qui n’a pas encore les crédits nécessaires pour s’inscrire. Il faut réussir à y rentrer, puis payer sa cotisation mais une fois que tu es dedans, les employeurs vont piocher dans ce monde artistique“. Après une participation au festival Kino de Montréal, c’est finalement l’association Diversité Artistique Montréal qui a aidé cette ancienne élève du cours Florent à décrocher des auditions pour le théâtre ou des séries télé. Mais elle déplore de n’être “appelée que pour des rôles de Française“.
Célia Laguitton, passionnée des planches depuis ses 8 ans, a pour sa part toujours joué dans des troupes amateurs en parallèle d’une formation dans un conservatoire parisien et de son métier de juriste. Au Québec, elle décide de se consacrer à 100% à sa passion — elle collabore notamment avec le clown René Bazinet — mais “pour passer à une autre étape“, y ajoute un zeste d’esprit entrepreneurial en intégrant en 2016 le Carrefour des Arts de la Scène et de l’Entrepreneuriat. La comédienne y suit une formation auprès d’Hubert Mansion (dont nous avons parlé ici) pour apprendre notamment à “travailler sur son identité d’artiste“. Une expérience tremplin qui débouchera sur une résidence au Bain Mathieu, une première production et une place de demi-finaliste au concours OSEentreprendre avec sa troupe, Minuit moins une.
Aujourd’hui, Célia Laguitton poursuit sa passion pour le théâtre à travers ses productions, dans lesquelles elle se construit ses propres rôles. “J’ai bien conscience que je dois faire mes preuves et me faire connaître (…) et je suis trop une femme d’action pour attendre qu’il se passe quelque chose dans ma vie !“, lance l’auteure-actrice qui apprécie qu’au Québec on lui laisse sa chance pour produire, sans préjugé.
La comédienne s’attelle d’ailleurs avec Sarah Dreyfus à l’écriture d’une pièce de théâtre “fiction et auto fiction” sur les immigrants français à Montréal, dans laquelle elles se donneront la réplique. Un projet dont nous vous reparlerons bientôt…