L’hiver élit domicile au Québec pendant 5 mois en moyenne chaque année. Mais pour certains tragiques événements, il n’y a pas de saison. D’où la question pas si bête de la semaine : comment, concrètement, se déroulent des funérailles par -30°C ?
Il n’y a pas tant de différences entre un enterrement en France ou au Canada, si ce n’est… le climat ! À cause du gel des sols, il est parfois compliqué d’inhumer un défunt. « Historiquement, au Canada, lorsqu’on ne peut pas creuser le sol, il est d’usage d’entreposer le cercueil dans un caveau commun en hauteur : le charnier », explique Patrice Chavegros, vice-président de Magnus Poirier, complexe funéraire à Montréal et à Laval.
Si aujourd’hui les grands et moyens cimetières disposent de moyens techniques modernes pour creuser les sols même par météo extrême, ce n’est pas le cas des plus petits complexes. Et s’il est possible de louer ces machines performantes, certains cimetières aux allées étroites éviteront d’y avoir recours, pour éviter d’endommager les autres tombes. Ainsi, « les mises en terre sont généralement suspendues entre le 1er novembre et le 30 avril. Au moment du dégel, la famille est invitée à assister à une cérémonie lors de l’inhumation du défunt », détaille Pierre-Paul Matte, de la Coopérative funéraire de l’Outaouais.
Comment les familles endeuillées vivent-elles ce décalage entre l’inhumation et le décès ? Patrice Chavegros invite à distinguer la notion de rituel de celle de déposition. « Le rituel — l’hommage rendu au défunt à l’Eglise ou au salon funéraire — a souvent lieu juste après le décès. Habituellement, seule la famille très proche assiste ensuite à la déposition, qui a un caractère plus intime. Certaines personnes ne souhaitent d’ailleurs pas voir la mise en terre ». Ainsi, dans les cimetières qui pratiquent l’inhumation l’hiver, si les conditions météorologiques restent insoutenables, rien n’empêche de décaler l’enterrement en lui-même de quelques jours, appelée « inhumation différée ».
Des funérailles en deux temps, qui existent aussi en France. « Il arrive qu’on ne puisse pas accéder tout de suite au caveau pour une raison quelconque, et à ce moment-là le cercueil est aussi déposé dans un caveau communal, le dépositoire », précise ce Bordelais d’origine, « ce qui est parfois mal vécu par les proches ».
Alors au Canada, pour éviter d’imposer aux familles un douloureux retour en arrière dans leur processus de deuil, les cimetières ont mis les bouchées doubles dans leurs équipements dans les vingt dernières années, investissements rendus possibles par des moyens suffisants. « Les cimetières ne sont pas gérés par les municipalités, comme en France, mais par les diocèses ou des entreprises privées, comme Magnus Poirier. Ce sont des modèles de gestion très éloignés », ajoute-t-il. Une différence qui s’explique notamment par le fait que le Canada ne connaît pas la « laïcité à la française ».
Finalement, les conditions climatiques ne seraient pas si déterminantes pour l’entrée dans la dernière demeure. Car, selon Patrice Chavegros, au Québec, entre 72 et 80% des familles optent désormais pour la crémation, contre 50% en France (c’était 10% il y a 20 ans, lorsque le thanatologue a quitté l’Hexagone). Il est alors facile de conserver une urne chez la famille du défunt, ou éventuellement dans un « columbarium », sorte de niches en briques, en attendant de la placer dans le caveau. « Le recueillement auprès du corps du défunt n’est plus un pré-requis au deuil, analyse l’expert. Ce qui compte aujourd’hui, ce sont les souvenirs, les hommages photos ou vidéos ». Même sous la neige.