“Allo, ça va bien aujourd’hui ?” Ajoutez-y le sourire qui va avec. Il faut l’avouer, la situation est déstabilisante lorsqu’on arrive de France. C’est que la question, aussi petite et anodine soit-elle, est pleine de bienveillance. Tout comme ce collègue qui vous tient systématiquement la porte ou cette voisine qui vous aide à déneiger votre char (par -30°). Et que dire de ce serveur aussi aimable que l’itinérant·e en bas de votre 4 1/2 ? On a gentiment demandé à Laurent Turcot, professeur d’histoire à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), de répondre à notre “question bête”.
Selon notre expert, les Canadiens seraient plus “avenants” que “gentils”, une nuance importante qui invite à creuser le sujet, à vérifier le cliché. “On compare souvent les Québécois aux Français qui s’expriment de manière plus brutale et carré. Ici, on ne veut surtout pas heurter ni aller contre les autres ! On n’aime pas ça la chicane”, avoue Laurent Turcot qui n’y voit pas forcément une forme d’empathie non plus. “Plutôt que de se confronter à l’autre, on préfère ne rien dire. Ce qui peut passer pour de la gentillesse s’avère surtout être de la gêne”.
Certains Français y voient aussi de l’hypocrisie, tout étant une question de perception et de situation, ne nous chicanons pas. Vous en avez peut-être déjà fait les frais : au Québec, lorsque rien ne va plus (que vous le sachiez ou non), toute forme d’interaction peut être rapidement coupée — sans explication garantie. “Ce n’est pas forcément de l’hypocrisie, c’est plutôt une autre manière de “vivre ensemble”. On ne dit pas les choses telles qu’elles sont, il faut s’habituer à ce jeu”, explique le professeur, conscient que les nouveaux arrivants doivent apprendre à dire les choses en douceur “par la bande” et sans confrontation. Avec une certaine “gentillesse” donc. Mieux vaut prévenir que guérir.
“Considérez que vous êtes chez des Britanniques qui s’expriment en français !”
Il faut s’y faire d’autant que cette façon d’interagir, un savant mélange de gêne et de bienveillance, est ancrée dans la culture québécoise. “C’est un peuple qui vient de la terre, qui a été habitué à une église très oppressante qui les a empêchés d’exprimer ouvertement leurs sentiments, à cela s’ajoute une morale judéo-chrétienne extrêmement forte”, raconte Laurent Turcot, pour tenter de justifier la chaleur humaine propre au Québec, et cette gentillesse sacrée, quoiqu’on en dise. “Les origines modestes québécoises et la difficulté à se constituer une élite intellectuelle, quelle qu’elle soit, (…) ont aussi joué dans la balance, c’est sûr”.
À celles et ceux qui prévoient de venir s’établir ici, il conseille de ne pas arriver en pays conquis, et de ne pas croire qu’on partage la même culture parce qu’on parle (à peu près) la même langue. “Les Québécois s’expriment en français mais sont davantage liés à la culture anglo-saxonne. Considérez que vous êtes chez des Britanniques qui s’expriment en français ! Au point même que certains Québécois se sentent plus chez eux à Londres qu’à Paris. Cela peut sembler paradoxal, et pourtant…”.
Sur le sujet, (re)regardez aussi la vidéo du youtubeur montréalais PL Cloutier qui, à la 50e seconde, avoue que les Québécois sont “juste gentils” (comparé notamment aux Parisiens) :