Il a vécu une descente aux enfers pendant trois ans et il s’en est sorti. À travers ses clichés, le photographe Yannick Fornacciari raconte sa dépendance à l’héroïne. Vous avez jusqu’au 10 février pour découvrir son exposition “Heroin Days” à la galerie WIP au 3487 boulevard St-Laurent. On l’a rencontré au milieu de ses photos.
« L’héroïne est une drogue fantasmagorique », explique le Français de 32 ans en se remémorant la première fois où il y a touché. C’est au cours d’un voyage à Amsterdam que le jeune homme originaire d’Aix-en-Provence sniffe sa première ligne : « J’avais une obsession, j’avais envie d’y goûter. (…) À Amsterdam, ce n’est pas cher et facilement accessible, il y a des dealers tous les dix mètres », raconte honnêtement Yannick sous méthadone depuis un an.
De retour en France, il cherche à retrouver « l’effet » généré par l’héroïne mais l’accès aux opioïdes y est difficile voire impossible. Il ne lui reste alors que les drogues dites « légales » : codéine, morphine, tramadol, fentanyl, etc. « Pendant des années, j’allais chez le pharmacien en prétextant un mal de dos et j’obtenais des médicaments comme ça. J’ai fini par être dépendant », raconte le diplômé d’une maîtrise en psychologie qui estime que “certains médecins agissent comme des «dealers» de drogues”.
L’arrivée au Québec, l’addiction et le projet artistique
Avec son compagnon pilote d’avion, Yannick Fornacciari s’installe à Montréal en 2013, parce qu’il s’y sent bien. Deux ans plus tard, il replonge dans l’héroïne et en devient accro pour de bon. « C’est une drogue introspective, ce n’est pas une drogue pour faire la fête avec tes amis (…). L’héroïne te coupe du monde », explique l’homme en sevrage. « T’es obligé d’augmenter les doses si tu veux avoir les même effets. Au départ tu dépenses 200 $ par semaine, à la fin c’est 200 $ par jour », raconte celui dont le visage creusé parle pour lui.
Malgré tout, il a toujours cherché à lier sa dépendance à son quotidien, à faire face. « Je travaillais dans une épicerie la semaine, je voyais mes amis : j’ai toujours fait en sorte de rester une personne normale. » Travailler et consommer, travailler pour prendre sa dose, tel était le quotidien de Yannick pendant trois ans. Au fil du temps, il perd quelques amis mais entretient une forte relation avec son dealer qu’il appelle presque tous les jours. « Si tu ne prends pas d’héroïne, tu peux tomber malade. Alors si tu ne peux pas compter sur ton dealer, ça peut aller très mal pour toi. »
Au milieu du chaos, il décide de se servir de son art comme bouée de secours. Il s’empare alors de son appareil photo pour documenter la période la plus sombre de sa vie.
” Je m’intéresse au vécu intérieur, je fais beaucoup de portraits”
À travers ses clichés, on découvre le quotidien sans filtre d’un héroïnomane : l’isolement, la prise de drogue, l’argent, l’attente, le désespoir. Mais aussi le soutien d’un copain pendant une énième crise. Des autoportraits où se dessine toute une psychologie intérieure chère au Français. « Je m’intéresse au vécu intérieur, à l’inconscient, à la souffrance dans mes photos. Je fais beaucoup de portraits », raconte celui qui saisit chaque instant pour combler ce vide qui l’entoure. Une pile d’une cinquantaine de flacons de méthadone fait aussi partie de l’exposition, preuve que sa cure de désintox est bien entamée. Mais aussi qu’on peut s’en sortir.
« Au vernissage, j’ai discuté avec des héroïnomanes et des anciens consommateurs. Mon but c’est de faire réagir les gens sur l’héroïne, de soulever un tabou : c’est plus qu’un projet artistique. » On confirme. Il s’agit surtout de l’expo d’un héros qui s’est porté lui-même secours. À voir et à réfléchir.