L’expatriation peut-elle bouleverser une habitude aussi culturellement ancrée que le repas ? Une étude dévoile que les Français passent deux fois plus de temps à manger et à boire que les Québécois. Qu’advient-il de leur rythme lorsqu’ils traversent l’Atlantique ?
La France est un bastion de la gastronomie, célèbre pour ses restaurants raffinés, ses chefs étoilés et ses débats enflammés autour de la table. De grands auteurs tels qu’Émile Zola ont immortalisé le moment du repas dans la littérature, faisant du XIXe siècle l’âge d’or de la cuisine française. Le « repas gastronomique des Français » est même classé comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO. Pour beaucoup, Paris demeure la gardienne de cette tradition culinaire, même si cela peut froisser certaines nationalités qui excellent également dans cet art. Et lorsque la France arrive au Québec, qu’est-ce qu’elle apporte avec elle, et qu’est-ce qu’elle laisse dans l’Hexagone ?
Selon une étude de l’OCDE citée dans un article de La Presse, les Canadiens passent en moyenne 1h05 par jour à manger, tandis que les Français, en tête du classement, y consacrent 2h13, soit plus du double.
« Les habitudes changent, on s’adapte à la vie québécoise », lance Romain, Français de 29 ans installé à Québec. Ce commis dans un magasin de sport a l’habitude de passer plus de temps à table que son entourage de la belle province. « Quand je mange avec mes collègues québécois, je mange plus longtemps qu’eux. Au restaurant, j’ai vu des gens commencer leur dessert alors que ma collègue française et moi étions encore au plat », remarque Romain, indirectement incité à accélérer le rythme pendant les repas.
Il en va de même pour Guewen, 25 ans. Ce Français confie regretter les longs moments passés à table en France. « Pour les Québécois, il y a un côté plus rapide et efficace dans la façon de voir les repas, ce qui occulte un peu le côté convivial », estime ce courtier en assurances expatrié à Montréal.
Par ailleurs, les personnes interrogées sont unanimes : au Québec, il est de coutume de souper plus tôt.
Romain, qui est régulièrement invité chez une famille québécoise depuis son arrivée dans la capitale provinciale, souligne une différence frappante au niveau des repas de famille. « Le souper commence bien plus tôt, parfois vers 17h, afin que nous puissions ensuite regarder le hockey », explique-t-il.
Cette habitude est également adoptée au sein de la communauté française. Amélie, 26 ans, partage cette expérience au sein de sa colocation. « Au bout de quelques mois, j’ai pris l’habitude de manger beaucoup plus tôt. C’est une habitude que pas mal tout le monde a pris, manger une heure à une heure et demie plus tôt qu’en France », témoigne cette Française qui travaille dans le milieu communautaire.
Sylvain, vidéaste français de 32 ans, abonde dans le même sens. « Je mange bien plus tôt qu’avant, je trouve ça plus agréable car après j’ai toute la soirée devant moi », affirme-t-il. Romain approuve ce point, soulignant que manger plus tôt lui permet de profiter davantage de « l’instant présent ». L’instant présent qu’il évoque semble moins lié au partage du souper qu’à l’ensemble des activités qui occupent le reste de la soirée.
Amélie confirme cette perception. « Quand je sors le soir, je veux manger vraiment plus tôt et rapidement, car ici on sort plus tôt », ajoute-t-elle. En effet, au Québec, la ville s’endort vers 3h, alors qu’en France, les festivités dans les boîtes de nuit se prolongent jusqu’au petit matin.
En France, le repas du midi est une institution, même dès le plus jeune âge à l’école, tandis qu’au Québec, la cantine scolaire est loin d’être généralisée. De nombreux jeunes emportent leur propre boîte à lunch préparée à la maison.
La convivialité n’est pas pour autant absente de la culture québécoise. Les longues tablées dans les cabanes à sucre, les potlucks entre amis ou collègues et les repas de famille lors des jours fériés en sont une preuve évocatrice. Cependant, il est difficile de ne pas penser à l’automobiliste nord-américain qui attrape rapidement son wrap-matin du travailleur – qui porte d’ailleurs bien son nom – et son café chez Tim Hortons pour le manger sur la route du travail.
Dans La Presse, la sociologue de l’alimentation Nathalie Lachance affirme que le rapport au temps et à la nourriture est différent en Amérique du Nord. « On mange dans sa voiture ou entre les différentes activités des enfants, et le midi, on mange aussi beaucoup plus vite devant son ordinateur, ce qui n’est pas le cas dans les pays méditerranéens. On a un rythme de vie plus accéléré, on ne discute pas des heures en prenant un café, on organise des réunions le midi tout en mangeant et on court toujours après le temps ! », explique-t-elle. Ses propos sont d’ailleurs appuyés par le professeur Jean-Claude Moubarac, qui estime que les sociétés nord-américaines sont « obsédées par le manque de temps » et veulent tout faire rapidement au risque d’en oublier l’essentiel.
« Le repas du midi est bien souvent bâclé voire même inexistant, on se ne prend pas toujours le temps de se poser pour manger », confirme Sylvain. Et d’ajouter sur un ton amusé : « Ce qui est cool, c’est qu’on ne culpabilise pas de manger ce qu’on veut quand on veut, parce que tout le monde fait ça ! »