En tant que francophone à l’accent 100% français de France, vous avez sans nul doute déjà été intrigué par l’accent québécois et ses spécificités. Vous vous êtes peut-être même déjà risqué à vouloir imiter certaines expressions ou sonorités locales. Nous avons cherché à comprendre pourquoi les tentatives d’imitation ou d’adoption trop hâtive de l’accent québécois se soldent (quasiment) toujours par un échec.
Vous avez peut-être déjà vu passer ses vidéos, maprofdefrançais – de son vrai nom Geneviève Breton – s’est donné pour mission d’enseigner à travers Youtube certains aspects de la culture et de la langue québécoise. Dans une vidéo, elle explique pourquoi les Français peinent à imiter l’accent québécois.
Selon cette passionnée des langues, diplômée d’un programme universitaire en traduction, on parle au Québec un français « disparu dans plusieurs régions de France et dans d’autres pays francophones d’Europe ». Les Québécois emploieraient aujourd’hui encore des sonorités difficiles à reproduire pour les Français, tant elles se sont effacées au fil des générations.
Victor Boucher, professeur en phonétique au Département de linguistique et de traduction de l’Université de Montréal, raconte une anecdote du phonéticien français Pierre Delattre, spécialiste de l’enseignement des langues étrangères et auteur de Voyelles diphtonguées et voyelles pures (1963) : « Il était de passage au Québec, et en entendant le québécois dans l’avion, il ne reconnaissait pas le parler. Il a cru entendre presque comme du tchèque… davantage de consonnes, des sonorités qui lui étaient inconnues. Et pourtant, c’est un spécialiste ! »
Geneviève Breton mentionne des personnalités publiques québécoises comme Céline Dion ou Stéphane Rousseau capables d’adopter sans difficulté un accent typiquement français.
S’il est si facile de passer du québécois au français de France, pourquoi le contraire nous semble-t-il si compliqué ?
« La façon de parler, c’est musculairement plus relâché, moins tendu. Donc c’est plus facile pour un québécois d’ajouter de la tension dans ses muscles pour imiter l’accent européen que pour un européen de se relâcher », explique la youtubeuse Geneviève Breton.
Une question de tension musculaire, donc. L’accent québécois utilise beaucoup de diphtongaisons, changements de timbre de voix dans la prononciation d’une même voyelle. Une diphtongue est en fait une voyelle segmentée. « Si on dit plus longtemps une voyelle, il y a plus de chances qu’elle se modifie pendant la prononciation », ajoute Geneviève Breton.
Le québécois a également une nasalité particulièrement accentuée, différentes manières de prononcer des sonorités comme la lettre « a » (manger des pâtes ou les pattes du chien impliqueront deux prononciations différentes) ou le son « an » (le mot enfant comporte en québécois deux manières de prononcer ce son) ainsi qu’un rythme différent dans la parole.
Par ailleurs, beaucoup de variantes entre les accents sont moins étudiées car elles ne peuvent être retranscrites avec des lettres ou des signes. Victor Boucher évoque la présence de plusieurs degrés de nasalité dans le langage québécois, des sonorités difficiles à retranscrire.
Pourquoi est-ce plus facile d’ajouter une tension musculaire que de se relâcher ? Et surtout, d’où vient ce relâchement ?
Selon Victor Boucher, les Français ont du mal à imiter l’accent québécois en partie parce que le Québec « porte les traces d’un contact important avec l’anglais ».
« Le québécois maîtrise des sonorités qui normalement pourraient s’éviter mais qui demandent la possibilité de produire des diphtongues, des nasalités, des sonorités qui ne sont pas propres au français », affirme le spécialiste en phonétique.
Il explique qu’en effet les Français ont tendance à prononcer à la française certains mots tirés de l’anglais comme toasteur ou des noms de compagnies tels Canadian Tire ou YouTube. Vous qui nous lisez, si vous êtes français, comment prononceriez-vous ces mots de manière instinctive ? Votre prononciation du « tube » de YouTube ne ressemblerait-elle pas un peu au tube de dentifrice ?
La prononciation d’un Québécois lisant Canadian Tire se rapprocherait bien plus de l’anglais tandis que le Français tendrait à conserver ses sonorités françaises.
« Il faut se rendre compte que l’anglais n’est pas une mode, ça rentre dans les tripes », poursuit le professeur d’origine franco-ontarienne qui affirme que le relâchement musculaire du québécois est une résultante d’un bilinguisme de transfert auquel les Français ne sont généralement pas confrontés. « Un Français ne change pas d’identité ni de langue lorsqu’il rentre en France », ajoute Victor Boucher.
Pour conclure, Geneviève Breton glisse ce conseil, si vous souhaitez prendre l’accent de votre province d’adoption : « Ne forcez pas le trait. »