Pablo Picasso collectionnait les oeuvres d’art d’Afrique et d’Océanie, notamment les sculptures et les masques. Inaugurée au musée du quai Branly – Jacques Chirac à Paris en collaboration avec le Musée national Picasso-Paris, une passionnante exposition consacrée aux influences des arts premiers sur l’oeuvre de l’artiste est reprise et transformée par le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) qui y ajoute, en miroir, des oeuvres contemporaines d’artistes africains ou afro-américains.
C’est au musée du Trocadéro (ancêtre du Musée de l’Homme) que Picasso découvre, en 1907, les arts dits aujourd’hui “premiers”. En 1912, il achète des oeuvres africaines à Marseille avec son ami Georges Braque. À sa mort, plus de 100 oeuvres africaines et océaniennes sont répertoriées dans ses acquisitions. Artiste engagé, Picasso soutient après la deuxième guerre mondiale la Négritude, mouvement anticolonialiste d’intellectuels noirs francophones fondé par les écrivains Senghor et Césaire avec qui le peintre se lie d’amitié.
“Je ne suis pas un collectionneur“, disait Picasso qui s’entourait au quotidien de ces oeuvres dont l’on peut parfois apercevoir certaines pièces dans des photos prises de l’artiste dans son atelier. Nathalie Bondil, directrice et conservatrice en chef du MBAM et commissaire de l’exposition, rappelait à la conférence de presse l’admiration de Picasso pour ces arts premiers, citant une phrase du peintre : “On n’a jamais surpassé la sculpture d’Afrique et d’Océanie“.
Au-delà de l’oeuvre de Picasso et de ses influences, le MBAM prend pour point de départ l’exposition initiale du musée du quai Branly pour questionner plus largement la relation entre l’Occident et les arts d’Afrique, d’Océanie et des Amériques. Comment ces oeuvres sont-elles passées au cours du vingtième siècle d’objets ethnographiques à créations esthétiques ? Comment redéfinir ces arts dans un monde universalisé ? “Nous sommes dans une Histoire globale où l’Europe est décentrée, avec la réalité d’une diaspora transnationale“, rappelait Nathalie Bondil lors de la conférence de presse.
Les 300 oeuvres et documents rassemblés proviennent majoritairement du musée du quai Branly et du Musée Picasso à Paris. Le MBAM enrichit ce face-à-face en ajoutant des artistes phares de la scène contemporaine africaine ou afro-américaine. On y trouve notamment le photographe sénégalais Omar Victor Diop, l’artiste plasticien béninois Romuald Hazoumè et l’artiste britannico-nigérian Yinka Shonibare.
Le parcours suit le fil du 20ème siècle et de la vie de Picasso. Lorsqu’il tombe amoureux de Marie-Thérèse Walter, l’artiste substitue les lignes rondes aux traits anguleux pour représenter la sensualité et, par extension, la fécondité de la femme. En écho, le musée présente une superbe “déesse de l’amour” de Romuald Hazoumè, portant une jupe composée de multiples cadenas et des bijoux faits d’une accumulation de clés (photo en Une de l’article).
Une série de lithographies représentant des taureaux dessinés par Picasso montre l’immense talent de l’artiste qui passe d’une représentation figurative à un trait simplifié contenant l’essence de l’animal. Juste à côté, le portrait d’un barbu évoque la figure du Minotaure tandis que des masques de têtes animales africaines offrent d’autres perspectives de représentations réduites à l’essentiel.
L’exposition consacre également un espace aux sculptures assemblages qui rappellent les objets de divination (masques, statues…) composés d’éléments divers. “La Guenon et son petit” est exposée pour la première fois au Canada. Dans cette célèbre sculpture très expressive, Picasso utilise avec humour deux petites voitures appartenant à son fils, Claude, et un vase qui forme le ventre de la guenon contre lequel elle presse son petit.
Au bout du parcours, la visite se prolonge sur une autre découverte, avec une deuxième exposition initiée par le Musée royal de l’Ontario, consacrée à l’art contemporain des Noirs canadiens. Elle se termine par l’installation “Souvenir”, de l’artiste Chantal Gibson, représentant une multitude de petites cuillers noires toutes différentes, disposées à la verticale, pour exprimer la tendance à cataloguer un homme ou une femme noire en raison de la couleur de sa peau.
D’Afrique aux Amériques, le Musée des beaux-arts nous invite à une réflexion interculturelle, d’appropriation en réappropriation. Elle se prolongera avec la nouvelle “aile des cultures du monde et du vivre ensemble” qui sera inaugurée par le musée l’an prochain. Le musée n’a par ailleurs pas fini de collaborer avec le musée du quai Branly, son président, Stéphane Martin, ayant annoncé lors de la conférence de presse la signature d’un partenariat de 4 ans entre les deux musées.