Avec des règles de congédiement et de licenciement plus souples qu’en France, les entreprises québécoises peuvent se séparer de leurs employés du jour au lendemain. Témoignages.
« Un matin, comme tous mes collègues, j’ai reçu une invitation pour une visioconférence programmée à 13 h, raconte Youssef1. C’était pour nous annoncer que l’entreprise qui avait racheté le studio de jeu vidéo où je travaillais avait décidé de fermer l’antenne de Montréal, et donc qu’on perdait tous nos emplois. »
Le jeune chargé de projets en technologies de l’information retrouve rapidement du travail, mais l’histoire se répète un an plus tard : « un vendredi matin, j’ai reçu une invitation Teams avec ma manager et la directrice des ressources humaines. C’était arrivé à tellement de personnes autour de moi que j’ai compris tout de suite ce que ça signifiait. » Cette fois-ci, son départ est dû à des désaccords entre différents services de l’entreprise au sujet du projet qu’il devait gérer.
Bien que se voir congédié ou licencié du jour au lendemain puisse paraisse surprenant d’un point de vue français, la situation n’est pas rare au Québec. « En Amérique du Nord, c’est fonctionnel : tu rentres dans une entreprise ou un projet parce qu’il y a un besoin. À partir du moment où ça ne marche plus, quelle que soit la cause, tu n’as plus de raison d’être là », explique Cécile Lazartigues-Chartier, consultante en interculturel.
« Attention à ne pas se sacrifier pour une entreprise, car elle ne le rendra pas », ajoute-t-elle. Une leçon que Laurent, développeur, a apprise à la dure il y a quelques années. « Je suis arrivée dans l’entreprise à ses tout débuts, on travaillait énormément pour sortir les premiers livrables le plus vite possible, raconte-il. J’ai fini par me brûler. »
En effet, à bout de souffle, Laurent est licencié. « Avant de quitter les lieux, j’ai pu discuter avec le directeur technique, qui m’a dit que c’était normal de me faire partir étant donné que je n’étais plus productif, se remémore-t-il. Ça reste un choc d’avoir investi autant de temps et d’énergie pour ne pas avoir l’impression d’obtenir de la reconnaissance par la suite. »
« Oui, c’est d’une grande violence, mais on ne peut pas avoir les côtés positifs du capitalisme exacerbé, sans les aspects négatifs », ajoute Cécile Lazartigue-Chartier. En effet, le dynamisme du marché du travail de la province permet également de retrouver rapidement un emploi
L’annonce d’une perte d’emploi, qu’elle soit faite en personne ou, comme de plus en plus souvent, en visioconférence, demeure un choc pour la plupart des individus. Si l’inquiétude liée à la perte de revenu est évidente, d’autres éléments entrent en jeu, dont le rapport que chacun entretient avec le monde du travail en général.
« Les Français ont un attachement émotif à leur place dans l’entreprise, à l’aura que cette place nous donne », souligne Cécile Lazartigues-Chartier. Dans les cultures où la hiérarchie sociale est plus marquée, l’emploi procure, en effet, un statut social dont les individus peuvent avoir de la difficulté à se dissocier. Pour passer outre l’épreuve de la perte d’emploi, repenser son rapport au travail s’impose.
« Il est important de voir notre rapport à l’engagement et au travail : est-ce que c’est juste pour l’argent ou est-ce que c’est vital pour nous situer dans la société ? Est-ce qu’on met notre valeur intrinsèque en ligne de compte ? », questionne la consultante en interculturel.
De plus, la perte d’emploi peut être d’autant plus violente pour les immigrants, car l’intégration dans son pays d’accueil passe en grande partie par le travail : « tout ce qui nous arrive en tant que nouvel arrivant prend une dimension qu’elle ne prendrait pas dans notre pays d’origine. On le vit comme un rejet de la société dans son ensemble. »
Pour prendre du recul, Cécile Lazartigues-Chartier suggère d’analyser la situation de façon factuelle afin de se détacher de ses émotions. « Si l’entreprise a écrémé un certain pourcentage de ses effectifs et qu’on en a fait partie, ça montre bien que c’est une décision qui concerne l’entreprise avant de nous concerner comme individu. »
Elle souligne qu’être capable de comprendre la situation ne signifie pas forcément être d’accord avec la décision. Cela permet, toutefois, de développer sa résilience et d’adopter une nouvelle perspective, indispensable à la construction d’une carrière à l’étranger.