Il fait partie de ceux qui ont bercé notre enfance et qui berceront, à coup sûr, celles de nos enfants et petits-enfants. Derrière “Kirikou et la sorcière” ou “Azur et Asmar”, se cache Michel Ocelot, 75 ans, toujours aussi vaillant. Le réalisateur français était à Montréal pour la promotion de son dernier chef d’œuvre “Dilili à Paris” qui sortira le 21 décembre au Québec. On a refait le monde avec lui.
“Dilili à Paris” est un beau film, dans tous les sens du terme : par la thématique abordée mais aussi par le soin accordé au traitement de l’image. Impossible, au premier coup d’oeil, de savoir s’il s’agit de dessins ou de photos. “Ce sont des photographies que j’ai prises et qui ont été retouchées, tantôt pour enlever la partie contemporaine ou pour mon bon plaisir (…). C’est quelque chose que je voulais consciemment, pour dire : ce que je vous montre existe réellement, vous pouvez aller le toucher et en jubiler (…). Cela fait partie de mon message, il y a de bonnes choses dans notre civilisation, il faut la continuer”, nous explique le papa de Kirikou, profondément attaché à Paris et encore plus, peut-être, à sa Belle Époque.
Tout au long de ce septième long-métrage d’animation, il passe en revue les grands noms de ce début de XXe siècle bouillonnant. On y croise, entre autres, Toulouse-Lautrec, Marcel Proust, Marie Curie, Louise Michel, Colette, etc. Tous ont un objectif commun : agir pour l’émancipation des femmes. Il n’y a pas de hasard. Interrogé sur la portée féministe de “Dilili à Paris”, où une jeune Kanak fait face à des “mâles-maîtres” qui obligent les petites filles à marcher à quatre pattes, Michel Ocelot a un avis bien tranché sur la question. “Je ne suis pas un féministe, je suis un être humain. Si on massacre des hommes, je ne suis pas d’accord ; si on torture des petits garçons, je ne suis pas d’accord. Mais il est vrai que l’horreur est souvent causé par des hommes envers des femmes et des petites filles. Je précise bien “filles” car on les oublie souvent, pourtant on les viole et les torture autant que les autres (…)”, raconte doucement celui qui a passé une partie de son enfance en Guinée.
Ce sont justement ces “horreurs” qui se déroulent aux quatre coins du monde, y compris dans nos pays, qui lui ont inspiré, malgré tout, ce conte de fées avec Dilili pour héroïne. “La violence est partout. Avec ce film, j’ai voulu rappeler que les atrocités quotidiennes que font subir certains hommes aux femmes sont plus graves que les guerres. (…) Les guerres sont presque secondaires par rapport au sort actuel des femmes et des filles dans le monde. Il faut en parler et arrêter de faire comme si on ne savait pas”, explique Michel Ocelot qui se sert du 7e art pour prévenir. “Je préviens les petites filles en leur disant de se méfier, d’où mon slogan issu du film : jamais plus à quatre pattes”.
“J’étais gêné de ne mettre que des Blancs (…)”
Un film en costumes d’époque, à Paris, dans les années 1900 avec des robes qui touchent le sol, c’est ce qu’imaginait Ocelot avant de découvrir toute l’étendue des merveilles de ce début de siècle. “Il fallait quelque chose de joli. Mais avant de faire ce film, je ne réalisais pas toute la richesse de la Belle Époque. (…) C’était une période sensationnelle à tous les niveaux de l’activité humaine : les arts, les sciences et les techniques. Avec Dilili, j’ai voulu lier les horreurs et l’antidote de cette civilisation liée à la Belle Époque”, rapporte l’humaniste qui croit éperdument aux progrès de la civilisation “mais avec les hommes et les femmes ensemble”. Toujours.
Seul (gros) inconvénient de la Belle Époque d’après lui ? C’est un moment où, à Paris, il n’y avait que des Blancs. “Je n’avais pas envie de reproduire cela dans mon film. Jusqu’ici, j’ai tenu compte de toute la planète dans mes films. J’étais gêné de ne mettre que des Blancs car je savais qu’une partie de mon public serait déçu et moi aussi”, a confié le réalisateur qui a déniché quelques portraits de “personnes colorées” parmi les oeuvres de Toulouse-Lautrec, notamment. “J’ai décidé de donner vie à une Kanak parce que cela se faisait à l’époque ! J’en ai profité : mon héros est non seulement une petite fille mais en plus, elle est bronzée”, raconte Michel Ocelot, avec fierté, qui a aussi veillé à ce que Dilili parle un français plus que parfait.
“On a dépassé toutes les limites de la décence avec la petite fille de 10 ans qui donne sa voix. On a répété pour que ce soit bien prononcé, on a fait la chasse à toutes les liaisons, on est allés un peu loin ! (rires)”, raconte Michel Ocelot, fan de Félix Leclerc et de “ses souliers qui ont beaucoup voyagé”. “J’ai un côté québécois en moi, je crois : je suis toujours en train de reprendre les gens en France qui ne savent pas parler anglais mais qui utilise tout de même l’anglais à tort et à travers (…)”.
Ce qu’on pourrait lui souhaiter pour 2019 ? “De trouver vite du fric pour que je fasse un autre petit truc sympa !”, nous a lancé le septuagénaire en riant. “J’ai une idée de film en tête, moins grave que Dilili mais où les femmes auront encore de la poigne et de l’ironie. Ce sera quelque chose de léger, à regarder pour le plaisir mais un plaisir intelligent, évidemment”, a confié Michel Ocelot avant de nous cracher le morceau. Le titre de son prochain chef d’oeuvre ? “La princesse des roses et le prince des beignets”… “On voit déjà que cela ne sera pas très sérieux !” À suivre…