On ne parle que de lui depuis le Concours international Tchaïkowski de 2015 où il a fait sensation. Le pianiste français de 27 ans vient pour la première fois au Québec où il donnera deux concerts en décembre, et se produira pour la troisième fois à Toronto.
Il a commencé le piano à l’âge de 11 ans puis a arrêté les cours à l’âge de 15 ans et ce n’est qu’à 20 ans qu’il a décidé de devenir pianiste professionnel. Quatre ans plus tard, il enflammait déjà le Concours international Tchaïkowski où il a même divisé le jury, remportant la 4ème place. Mais il a gagné le Prix spécial de la critique musicale de Moscou et a remporté aussi l’appui de pointures comme le pianiste Boris Berezovsky qui l’a qualifié de “génie” et le coeur du public.
Depuis, il mène une plus belle carrière que celle des lauréats du concours qui ont pris les trois places devant lui. En toute simplicité, il est revenu avec nous sur son parcours : “Tout ça s’est fait très naturellement, je n’ai pas du tout eu de révolte. J’ai cessé de faire du piano parce qu’on ne pouvait pas vraiment aller plus loin avec le professeur que j’avais au conservatoire de Compiègne et cela correspondait avec mon entrée au lycée. Et là j’ai eu le besoin pour la première fois de ma vie d’avoir un groupe d’amis.” Exit donc la pratique studieuse du piano classique et place à une autre forme de pratique musicale. Lucas Debargue se fait des amis et gratte la basse dans un groupe de rock.
Une digression qui n’est pas sans porter ses fruits. “Ce n’est pas le rock qui a ouvert mes oreilles (…), explique-t-il. Mais ce qui m’a fait avancer c’est de jouer un rôle dans le quatuor ou le trio que je formais avec mes copains. La basse a un rôle de soutien harmonique. C’est là que j’ai réalisé des choses toutes bêtes que je réalisais moins quand j’étais au clavier (…). Au piano, j’avais du mal à isoler les voix. J’ai eu une écoute beaucoup plus sélective à partir de là”.
Car pour Lucas Debargue, la pratique du piano s’effectue bien sûr avec les mains mais surtout dans la tête. “J’ai acheté mon premier vrai piano cette année“, confie le pianiste qui a beaucoup navigué entre un piano d’étude et un clavier numérique durant son apprentissage. “Ça ne m’a pas empêché d’avancer car l’essentiel du travail était dans ma tête. Quand j’écoutais de la musique avec le casque, c’était là que les choses se mettaient vraiment en place. Pour un musicien, ce qu’il faut c’est développer l’oreille”.
À vingt ans, influencé notamment par une rencontre amicale et l’immersion dans la littérature qu’il étudie à la fac, il décide de se consacrer à fond au piano et reprend un apprentissage intense auprès de la professeure Rena Shereshevskaya. Depuis son succès au concours Tchaïkowski, quatre ans plus tard, il a sorti quatre disques en deux ans et enchaine les concerts. Dans son dernier disque qui vient de sortir, il interprète des oeuvres de Schubert et Szymanowski. “C’est un programme que je donne en récital tel quel (…). Il y a une teinte un peu noire et un peu cynique dans ces pièces et ça m’a vraiment plu de les rapprocher”, commente-t-il.
À Montréal, il interprètera “un programme assez expressionniste, très fin“, nous dit-il, avec des oeuvres de Scarlatti, Chopin, Fauré et le fameux “Gaspard de la Nuit” de Ravel, morceau qu’il a joué au concours et réinterprété maintes fois depuis. “Ça va être la première fois que je rejoue “Gaspard de la nuit” depuis presque un an, raconte-t-il. C’est très intéressant pour moi“.
Car l’interprétation n’a rien de figé. Au contraire elle bouge, évolue avec le temps. “Ma mission est de rafraîchir les oeuvres en permanence“, analyse-t-il. Cette pièce résonne avec les autres morceaux qui seront interprétés pendant le concert. “Ces oeuvres sont liées par un rapport très fin à l’écriture pour le piano, une manière très détaillée d’écrire“, explique le pianiste.
Après sa tournée au Québec, l’avenir s’annonce occupé pour le jeune pianiste dont la notoriété explose. “J’ai déjà des contrats en 2021“, dit-il, pour le plus grand étonnement de certaines personnes qu’il croise, persuadées que le piano classique offre peu de débouchés. “Quand je dis que je fais du piano, j’entends encore des gens me dire : mais comment fais-tu pour vivre ?“. Lucas Debargue ne devrait pas être gêné par ce genre de préoccupations pour continuer à partager son oeuvre et la faire évoluer. “Je rêve de passer toute ma vie à composer“, confie-t-il.