Dans Paul à la Maison, le nouvel album de la fameuse série du bédéiste Michel Rabagliati sorti le 14 novembre, une page est consacrée à la rencontre du héros avec deux énergumènes se baladant sur le Plateau à Montréal. Emmitouflés dans leur tenue d’hiver dès le début du mois de novembre, deux Français aussi décalés que les deux Dupont dans Le Lotus Bleu (de Hergé) sont mis en scène par l’auteur québécois primé à Angoulême.
Le “quartier français”
« Pardon Monsieur, c’est bien ici le Plateau Royal ? Le quartier français ? » C’est ainsi que débute la page 135 du nouveau tome de Paul, une bande-dessinée tellement appréciée des Québécois qu’elle a été adaptée au cinéma en 2015. Passablement énervé par la prune qu’il vient de trouver sur son pare-brise, le héros – un personnage assez largement autobiographique – tombe nez à nez avec un couple de Français revêtus de manteaux Canada Goose et de bottes Sorel traînant leur valise ornée d’un autocollant CDG.
« C’est une anecdote que ma fille m’a racontée. Elle travaille au kiosque de fruits et légumes du métro Mont-Royal et souvent des Français arrivent par là avec leur valise et demandent s’ils sont bien dans “le quartier français , confie l’auteur dans un éclat de rire. Et puis souvent, les Français sont “over equipped” », avec des bottes et de trop gros manteaux trop chauds, trop tôt. D’ailleurs souvent, quand on voit des Canada Goose ou de grosses Sorel avec de la fourrure tout autour en novembre, on se dit “tiens, voilà des Français !” Cette scène est un clin d’oeil aux nouveaux arrivants. »
Des nouveaux venus qui s’approprient la dénomination du quartier. « C’est un running gag, commente l’auteur. Nous sommes devenus le “quartier français” vu que tous les Français semblent converger vers le “Plateau Royal” comme ils l’appellent souvent, ou le Mile End. »
La scène se poursuit sur un dialogue réjouissant entre “cousins” ponctué d’expressions françaises de l’Hexagone comme “du coup” ou “carrément”, où l’on apprend que les deux Parisiens viennent travailler en PVT pour une société de jeux vidéos. « C’est la toute première fois que j’entends un récit aussi original ! », s’exclame le héros québécois, un brin moqueur.
« Depuis quelques années, il y a une très grande vague d’immigration française et tous les Québécois en parlent dans le Mile End et sur le Plateau, commente Michel Rabagliati. Les jeux vidéo et Ubisoft en particulier, attirent un paquet de Français. Je travaille sur le Plateau et maintenant, avec mes amis, on plaisante en disant qu’on entend deux langues dans ce quartier : l’anglais et le français de France. C’est une sorte de constat social, c’est comme ça que la ville évolue. (…) J’avais juste envie de lever le drapeau et dire qu’on vous a remarqués ! », sourit l’auteur.
La bulle immobilière
Si la caricature amusera bon nombre de Français du Québec, la chute pourrait passer plus douloureusement. Après un dialogue très chaleureux avec les deux Français sur le trottoir, Paul peste au volant de sa voiture en les traitant intérieurement de « tarlas (ndlr : zigotos) venus vivre la Nouvelle-France et gonfler la bulle immobilière du Plateau ». Une question nous taraude : Paul, le héros du bédéiste primé en France, serait-il francophobe ?
Il faut remettre cette scène dans son contexte, dit l’auteur. « En fait, c’est un moment clé car Paul est en crise, il vient de se pogner une contravention et moi j’ai horreur de ça ! » D’autant que dans ce nouvel album, Paul, devenu quinquagénaire, fraîchement séparé et confronté au deuil, ne va pas bien. « Habituellement, je ne suis pas aussi caustique dans mes critiques, mais on comprend tout au long de l’album que le personnage est à vif. Il n’est vraiment pas dans son assiette. La contravention fait déborder le vase. Il se vide le cœur par rapport à une rencontre X. Cela aurait pu être autre chose, mais là ça tombe sur des Français. »
La critique de fond quant à l’impact des Français sur les prix de l’immobilier rejoint néanmoins une réalité, selon Michel Rabagliati. « C’est quelque chose dont tout le monde parle sur le Plateau ou dans le Mile End, où les prix se sont mis à monter extrêmement vite depuis une douzaine d’années. On vend nos maisons à des Français car ils sont prêts à payer n’importe quel prix et à surenchérir. Je pense que cela a un peu déséquilibré le marché immobilier, surtout sur le Plateau et le Mile End et maintenant cela commence à Rosemont. » Une réputation fâcheuse que Maudits Français a déjà vérifiée ici.
Maudits, les Français ?
Un constat néanmoins sans rancoeur, précise l’auteur, très apprécié en France où il vend 10 000 exemplaires par album. « Nous autres aussi, on vous aime beaucoup quand même !, déclare-t-il en riant. C’est simplement un petit clin d’oeil pour dire qu’on a remarqué ce qui se passe avec vous, mais ce n’est vraiment pas méchant. Je pense que cela va faire rigoler les Montréalais, car c’est quelque chose qu’ils pensent. Cela a changé le paysage au niveau du logement, mais on vous aime, il n’y a pas de problème ! »
Alors, sommes-nous des “Maudits Français” selon Michel Rabagliati ? « Ce sont surtout nos parents qui disaient cela dans les années 60-70, estime l’auteur. Les Québécois avaient une espèce de complexe par rapport aux Français, au niveau de l’éducation probablement. Pendant une période, ils avaient l’impression de se faire faire la leçon par les Français, les Parisiens qui arrivaient au Québec et les prenaient, pensaient-ils, pour des gens de la campagne pas très éduqués, sans grande culture (…). Ma mère québécoise se faisait faire la leçon par sa belle-mère parisienne qui lui disait quoi faire, comment parler, comment élever ses enfants et les habiller et c’est quelque chose que j’évoque dans “Paul au Parc” (…). Maintenant, plus grand-monde n’utilise cette expression, ou en tout cas, elle est devenue plus affectueuse car les Québécois se sont affranchis en se disant : nous avons notre accent mais nous ne sommes pas plus idiots que les Français. La preuve, ils veulent tous vivre à Montréal. »
Une attirance que l’auteur – qui a souvent voyagé en France – attribue à la douceur de vivre et à la moindre importance de la lignée sociale au Québec. « Je pense que les Français trouvent ici une sorte d’apaisement et de facilité dans les relations interpersonnelles. En France, il y a encore une hiérarchie sociale à tiroirs, des relents de noblesse ou de richesse et c’est quelque chose qui n’a jamais existé au Québec (…). Ici, que ton père soit le président de Citroën ou de Desjardins ou le petit cousin de Peugeot, on s’en crisse ! »