Avec son exposition “Le modèle dans l’atelier”, le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) dévoile des oeuvres des principaux artistes montréalais entre les années 1880 à 1950, pour la plupart inédites et d’acquisition récente. On y découvre que, dans un Québec puritain, la représentation de corps nus servait à former les artistes dans les ateliers, mais était rarement exposée jusque dans les années 1920.
Les 70 oeuvres présentées au deuxième sous-sol du musée comprennent des esquisses rapides, dessins aboutis, pochades et sculptures, réalisés par des artistes de Montréal, dont beaucoup, comme le Canadien William Brymner, ont été formés dans les ateliers parisiens.
Brymner enseignait à l’Art Association de Montreal (l’ancêtre du MBAM), de même que l’artiste d’origine française Edmond Dyonnet, professeur au rôle déterminant “très conservateur et misogyne”, nous raconte Jacques Des Rochers, conservateur de l’art québécois et canadien (avant 1945) au MBAM.
L’exposition révèle un milieu très conservateur. “À l’époque, quand les femmes avaient accès aux modèles vivants, ils n’étaient jamais nus”, explique Jacques Des Rochers. Alors que les hommes disposaient de femmes modèles qui se dénudaient pour la pose, “les femmes ont eu droit à des modèles féminins drapés pendant très longtemps“.
“Je ne voulais pas faire abstraction de l’importance de la censure dans le contexte canadien“, souligne par ailleurs le conservateur en montrant une critique de l’artiste Louis Muhlstock après la publication dans une revue canadienne d’un portrait de femme du peintre français Pierre Bonnard, dont les seins ont été pudiquement masqués.
En 1927, l’artiste Henri Hébert dessine un Nu féminin debout, de dos, aux chaussures, dont la sensualité et la pose modernes tranchent avec d’autres représentations du corps de la femme, plus académiques. John Lyman représente quant à lui avec La détresse la première oeuvre canadienne représentant l’homosexualité féminine, selon Jacques Des Rochers. On en retrouve quelques esquisses dans l’exposition.
Des artistes canadiennes ont par ailleurs matérialisé une représentation plus libre de la femme, comme l’explique le conservateur en montrant l’huile sur la toile intimiste Nu féminin aux bas (1935) de Jori Smith, mise en miroir avec la reproduction d’une oeuvre de Lilias Torrance Newton. “La femme était lasse d’être représentée comme un objet sexuel à travers la vision de l’homme (…). La pose, l’affirmation, le fait que le modèle était considéré à l’époque non comme un nu mais comme une femme déshabillée, pas dans un atelier mais dans un appartement, avec du vernis à ongles sur les doigts et les pieds et les poils pubiens (que l’on ne représentait pas) : cela donnait un autre positionnement à la femme“.
L’exposition s’achève avec la seule oeuvre contemporaine exposée : une photographie extrêmement touchante de Donigan Cumming, montrant un couple tendre aux corps vieillissants.