En ce début 2018 où des femmes président le Forum économique de Davos pour la première fois, l’égalité salariale fait parler d’elle. À Hollywood, Mark Wahlberg fait don de son salaire 1500 fois supérieur à celui de sa partenaire Michelle Williams sur le dernier Ridley Scott. L’Islande et l’Allemagne viennent de renforcer leur législation. Et au Québec, qu’en est-il ?
Les chiffres
Au Canada, on a depuis longtemps adopté le terme d'”équité salariale” pour aborder cette problématique. Cette notion désigne un salaire égal pour un travail équivalent, tandis qu’avec l’égalité salariale on parle d’un salaire égal pour un travail égal. Ce principe est contenu dans certaines lois fédérales au Canada et fait l’objet de la loi sur l’équité salariale au Québec.
Pour autant, et même si la situation s’est globalement améliorée ces dernières décennies, l’écart entre les rémunérations selon le sexe reste important. Dans son dernier classement établi en 2017 sur un total de 144 pays, le Forum Economique Mondial plaçait le Canada à la 16ème position en termes généraux de parité, derrière la France qui figurait à la 11ème place.
Plus précisément, les derniers chiffres communiqués par Satistiques Canada datant de 2015 montrent que pour 1 dollar gagné en salaire annuel par un homme, une femme ne touche que 74 cents au Canada. En salaire horaire, qui ne reflète pas l’impact des temps partiels, une femme touche 87 cents pour 1 dollar touché par un homme. Au Québec, selon les dernières données fournies par l’Institut de la Satistique du Québec en 2016, le salaire horaire moyen brut d’une femme est de 22,74$ contre 25,67$ pour un homme.
L’écart peine donc à se résorber, malgré la législation en place, des femmes de plus en plus diplômées et un premier ministre qui se dit féministe. “Les avancées sont symboliques, dans les faits elles se reflètent très peu dans le portefeuille des femmes“, estime Gabrielle Bouchard, présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ). Elle souligne que l’écart est particulièrement important pour les femmes issues des minorités : “Pour les femmes historiquement marginalisées, par exemple les femmes racisées, l’iniquité salariale est beaucoup plus grande, avec une différence autour de 40%“, précise-t-elle.
Explications d’Angelo Dos Santos-Soares, professeur à l’UQAM
Selon Angelo Dos Santos-Soares, professeur au département d’organisation et ressources humaines de l’UQAM, les raisons invoquées ne sont pas toujours les bonnes. “On dit que les femmes choisissent des emplois moins rémunérés mais je pense que ni les hommes ni les femmes ne vont faire ce genre de choix. Le raisonnement ne tient pas ! À la base, le problème c’est la division sexuelle du travail“, explique-t-il.
Cette division sexuelle comprend deux volets selon le professeur : certains emplois restent majoritairement occupés par des hommes et d’autres par des femmes. Par ailleurs, le travail des hommes est plus valorisé financièrement que le travail des femmes. “56% de la main d’oeuvre féminine est concentrée dans 20 métiers, précise Angelo Dos Santos-Soares. C’est un problème parce que ces métiers-là sont généralement mal payés car les compétences qu’ils exigent ne sont pas valorisées“. Il cite comme exemple des compétences relationnelles et émotionnelles, précieuses mais peu rémunératrices dans certains métiers de bureau ou de services majoritairement occupés par des femmes.
Autre paramètre de poids : le temps consacré à l’éducation des enfants. “La division entre le travail domestique et le travail rémunéré est un autre volet important de la division sexuelle du travail, explique Angelo Dos Santo-Soares. Les femmes sont moins payées parce qu’elles travaillent moins d’heures. Pourquoi ? Parce que le partage du travail domestique homme/femme n’est pas réglé. On voit qu’il y a une amélioration mais elle est loin encore d’être à 50/50“.
Il prend pour exemple la médecine pour illustrer le problème : “On voit de plus en plus de femmes devenir médecins, c’est super (…). Mais quand on regarde plus précisément, on voit que les femmes ne sont pas réparties de manière égale dans les spécialités. Beaucoup moins de femmes sont chirurgiens parce que les exigences en termes d’heures de travail sont trop imposantes“.
Le professeur évoque également le poids des préjugés en citant le cas concret d’une famille qu’il a rencontrée dans laquelle les enfants sont gardés par le papa, la maman ayant accepté un travail très prenant. Cette famille lui a rapporté la difficulté pour les enfants d’inviter des copains à la maison en raison d’une réticence de leurs mamans. “C‘est cette mentalité qu’il faut changer“, analyse le professeur.
Les solutions ?
Il faut commencer par reconnaître officiellement le problème selon Gabrielle Bouchard. “Il est difficile d’avoir des discussions sur l’équité salariale, sauf au sein des mouvements de femmes ou avec celles qui subissent cette différence (…). Il faut qu’il y ait une reconnaissance collective de l’iniquité salariale” préconise-t-elle.
La présidente appelle également à une réévaluation des compétences : “Il faut valoriser le travail des femmes“, souligne-t-elle. Les salaires des métiers qui sont vus prédominamment comme des métiers de femmes sont moindres. Cette iniquité-là dans le travail n’est pas traitée“, dénonce-t-elle.
Pour Angelo Dos Santos-Soares, il faut ancrer dans les mentalités que “tous les travaux peuvent être faits par un homme ou par une femme, y compris les travaux domestiques“.
Le Canada va-t-il légiférer, comme l’Islande ou l’Allemagne ? Justin Trudeau a annoncé pour la fin 2018 une loi fédérale pour contraindre les employeurs des milieux règlementés (fonctionnaires, banques, entreprises de téléphonie…) à respecter l’équité salariale sans que le salarié ait à déposer une plainte.
“Les bonnes intentions n’amènent pas l’équité salariale“, lance Gabrielle Bouchard qui attend des résultats concrets. “Je ne pense pas que pour avoir un changement, il suffit juste d’avoir une loi, commente de son côté Angelo Dos Santos-Soares. Pour moi, la loi c’est correct mais le plus important c’est ce qui va découler de cette loi : le débat, la discussion pour faire avancer les mentalités des gens (…) On peut faire le parallèle avec le mouvement “me too”. On a besoin de femmes qui vont contester et avancer sur ce chemin“.
À bonnes entendeuses… et entendeurs aussi d’ailleurs, notamment pour atteindre l’égalité dans le travail domestique.