La dernière fois qu’elle est venue aux Francos, c’était en 2008 : dix ans plus tard, Camille est aussi inclassable que magnétique. Avant son concert de ce 13 juin 2018 au Théâtre Maisonneuve, elle a transformé une simple conférence de presse en jolie leçon de philo. Tout un art.
“Je suis une éponge, je sens beaucoup les lieux et j’ai décidé, à un moment donné, que mon instrument c’était ma voix mais aussi le centre de mon travail. (…) Or la voix est perméable à ce qui se passe en soi et autour, à là où on est et avec qui on est. (…) Le lieu devient un instrument de musique”, a raconté la chanteuse française qui s’est enfermée quelques temps dans une petite chapelle en Tarn-et-Garonne et dans une ancienne chartreuse datant du Moyen-Âge à Villeneuve-lès-Avignon pour enregistrer son dernier album “Ouï”.
Si la note “si” traversait tout son album “Sur le fil”, pour “Ouï” aussi elle s’est imposée des contraintes et en particulier celle du tambour. “Je voulais un tambour et même un tom accordé mais pas de basse. Je voulais aussi un choeur lyrique et un coeur rythmique, mais tout s’est transformé au fur et à mesure. Ça bouge !”
Le mouvement parlons-en, indissociable du chant selon elle. “Tu peux être en mouvement en étant immobile”, a confié l’artiste en faisant directement référence à la gestuelle de Bobby McFerrin. “Le chant, même quand on est mobile, c’est une calligraphie dans l’air : ça bouge ! Si je bouge c’est pour faire bouger autre chose, pour la danse c’est rétablir la fluidité dans le monde et en soi”.
“Quand t’es enceinte, quand tu allaites, quand ta tes règles, quand tu ovules, tu ne chantes pas pareil !”
Interrogée sur la maternité (NDLR : elle est mère de deux enfants) et son rapport au corps, Camille n’a pas hésité à parler de sa propre expérience de “grossesse” (mot qu’elle ne trouve d’ailleurs pas très joli). “La maternité transforme le corps comme la vie le fait en permanence. Quand t’es enceinte, quand tu allaites, quand t’as tes règles, quand tu ovules, tu ne chantes pas pareil ! Il n’y a pas de mieux ou moins bien. (…) j’imagine que ça m’a apportée un ancrage, une forme de puissance de l’ordre de l’énergie qui vient du bassin.”
À ses enfants, elle a confié qu’elle leur réservait des berceuses traditionnelles, françaises et anglaises. “J’invente des trucs aussi ! Beaucoup. J’ai composé une chanson pour mon fils quand j’étais enceinte de lui : “Bubble Lady”. Il y en aura peut-être d’autres que je sortirai mais il faut que le fruit soit mûr, il faut trouver le bon moment pour partager ça”.
Quant à son rapport à la scène, Camille le voit comme une forme de rituel voire même de catharsis. “Il nous appartient à chacun de réinventer des rituels, c’est important pour l’humain, ça rassure et ça permet de faire des deuils. La vie est faite de deuils et de transformations. (…) Des deuils qui demandent d’être créatifs. (…) La sortie d’un disque c’est un deuil et une naissance.”
Le spectacle qu’elle propose aux Francos ne va pas “durer dix ans” comme elle le dit ni être repris par “une doublure”, il faut alors en profiter maintenant. Ou jamais. “C’est une période de ma vie, c’est un passage et grâce à ça et au public, je peux passer à autre chose, à mon prochain spectacle.”
Aux nouvelles artistes de la scène féminine francophone, à l’image de Clara Luciani ou Juliette Armanet, entres autres, elle dit : “Ouvrez vos portes ! Il y a une très belle génération de chanteuses françaises et je pense que le féminin est en expansion sur cette terre… Le féminin pas que chez les femmes d’ailleurs !”, a lancé Camille qui n’a pas dit son dernier mot. On reste tout ouïe.