En salle à Montréal depuis le 17 mai, HAK_MTL, le premier film d’Alexandre Sheldon, raconte comment nos moindres faits et gestes sur la toile sont archivés. Selon le réalisateur, loin de sa vocation première, Internet est devenu une véritable machine de collecte de nos données personnelles. Rencontre avec un artiste engagé.
Pour Alexandre Sheldon, les hackers seraient devenus des gardes-fous. Il seraient, selon le réalisateur, “protecteurs de notre vie privée“. “Si leur nom est souvent synonyme de criminalité, leur réalité est différente“, explique Alexandre Sheldon. Après quatre ans de recherche dans la communauté des hackers, il s’est rendu compte que ces pirates informatiques “sont des acteurs de l’ombre, qui œuvre pour protéger notre liberté”.
‘‘Pour moi, l’affaire Snowden a été la fin des illusions par rapport à Internet. Une grande prise de conscience soudaine’’, explique le réalisateur. En effet, en 2013, on apprenait que la NSA avait mis sur pied un système d’écoutes et de surveillance de masse. ‘‘C’est un scénario cauchemardesque devenu réalité. L’intégralité de l’Internet est archivé, stocké et peut potentiellement être utilisée contre nous…’’
Scénario que la communauté des hackers avait déjà évoqué, et ce dès les années 2000. ‘‘Pourtant, dans l’imaginaire collectif, les hackers restent soit des criminels, soit des paranoïaques’’, regrette Alexandre Sheldon. Il est parvenu à pénétrer dans le cercle méconnu des pirates informatiques, à l’image malmenée. Ici, pas de cagoules, de capuches ou de masques d’Anonymous. “À visage découvert, les hackers proposent des alternatives plus respectueuses de la vie privée.”
“Je n’ai rien à cacher“. Une réponse qui revient souvent lorsqu’on alerte sur le danger que représente Internet sur notre vie privée. “Pourquoi s’inquiéter de la surveillance de mes profils Facebook, LinkedIn ou même Gmail si je n’ai rien à cacher ?“, questionne le militant. Un argument qui ne tient pas la route selon lui, et qui contribue à la destruction de notre vie privée.
‘‘La définition même de la vie privée, c’est pouvoir choisir ce qu’on veut montrer’’, explique-t-il. C’est ce principe que, selon lui, Facebook met à mal. En effet, une fois posté, un message ou une publication laisse une marque indélébile sur la toile. Même supprimé, le “post” restera archivé dans les datas centers de l’entreprise. ‘‘Cette pratique nie notre droit à décider ce qu’on veut rendre public de nous. Aujourd’hui, on n’a plus le droit à l’erreur, puisque tout reste sur Internet.’’
N’avoir rien à cacher est un privilège que peu de personnes peuvent se permettre estime Alexandre Sheldon. ‘‘Je n’ai rien à cacher, parce que je suis un homme, blanc, nord-américain, avec un travail stable… Dans d’autres pays plus autoritaires, la situation n’est pas la même.’’ Or, le réalisateur rappelle que les contextes politiques changent et qu’un privilège peut bien vite être perdu. ‘‘Ce n’est qu’à ce moment-là qu’on se rend compte de la puissance qu’on a (souvent sans le savoir ou le vouloir) donné à ceux qui utilisent nos données.’’
‘‘Les systèmes mis en place par Facebook ou Google sont fondamentalement antidémocratiques’’, explique Alexandre Sheldon. ‘‘D’autant plus que la majorité des gens n’y comprennent rien.’’ La collecte et la monétisation des données personnelles par les géants du net ne posent donc pas simplement un problème de vie privée, mais aussi de démocratie.
‘‘Les données des utilisateurs sont vendues et utilisées pour manipuler et influencer’’, martèle-t-il. En effet, selon le réalisateur, les algorithmes des géants du web renvoient à un ‘‘entre-soi’’, suggérant des publications similaires à celles auxquelles vous avez réagi. ‘‘Cela limite la capacité à s’ouvrir à d’autres débats, d’autres communautés. Les algorithmes exacerbent les différences et les radicalismes.’’
Selon le réalisateur, ‘‘Internet est la plus belle invention du monde pour l’accès à la connaissance, mais il a été perverti.’’ Qui peut se targuer de lire les contrats d’utilisation des sites, ou les politiques de cookies ? “Sans le savoir, nous mettons à disposition toutes nos données“. Ainsi, 95 % des applications de votre téléphone collecteraient vos contacts ou votre géolocalisation. ‘‘Avec un téléphone dans la poche, on est géolocalisé. Avec le système de reconnaissance faciale, on sait avec quel groupe d’individu on était. Tout cela limite la capacité d’un peuple à se mobiliser et forme une atteinte très grave à la démocratie.’’
‘‘Sans parler des ingérences politiques…’’ ajoute-t-il.
Au Canada, la seule loi de régulation de l’Internet date de 2001 et donc d’avant la création de Facebook. Une loi obsolète donc, estime le réalisateur.
Dans un système où “le choix n’est que façade“, ‘‘l’essentiel du changement passe par la loi.’’ La boîte courriel, Facebook, LinkedIn… Rien ne nous oblige à utiliser ces outils et il est cependant devenu inconcevable de les mettre au placard. ‘‘Ces services ont réussi à se rendre indispensables, à s’incruster dans la vie quotidienne. Les supprimer handicape même votre vie sociale !’’
Le réalisateur recommande également de s’initier aux outils alternatifs, tout aussi faciles d’accès, gratuits, mais plus respectueux de notre vie privée. Vous pouvez par exemple remplacer votre boite Gmail par ProtonMail, qui ne récupère pas votre adresse IP. ‘‘Nous sommes devenus des utilisateurs passifs, sans pouvoir en tant que citoyens.’’ Pour y remédier, Alexandre Sheldon estime que l’éducation a un grand rôle à jouer. ‘‘Nous devons comprendre comment Internet fonctionne, pour mieux l’utiliser’’, conclut-il.