Avec le mois de décembre, on aborde toute l’effervescence des turbulences affectives liées aux fêtes, pas toujours pour le meilleur. Pour celles et ceux qui habitent loin de la mère patrie, Noël ou pas, les enjeux sont amplifiés et les discordances sous-jacentes s’invitent régulièrement dans notre quotidien. Petite mise en perspective salutaire et peut-être même inconfortable.
Cela peut commencer insidieusement par un imperceptible froissement dans la voix au téléphone, une virgule mal placée dans un courriel, l’ajout d’un petit adverbe dans un message au sujet de… La liste est infinie. Quelques pistes ? Ce pourrait être au sujet de vos parents (qui se font de plus en plus vieux), des cadeaux pour la petite cousine, de votre façon de réagir à la naissance d’un bébé, de votre relation avec votre meilleur·e ami·e ou sur le fait que, justement, vous ne serez “encore” pas là pour Noël cette année.
Un petit grain de sable qui paraît anodin, qui vient cependant avec son lot d’agacements, de grincements de dents, de vieilles histoires qui ressurgissent qu’on pensait terrées bien loin, voire même oubliées. Avec l’éloignement — et une certaine dose de pensée magique —, soyons honnêtes : nous avions pensé y échapper… au conflit. Le mot est lâché, tel une bête indomptable et féroce, qui risquerait d’abîmer notre écosystème relationnel avec ceux restés là-bas.
Une escarbille et la bisbille s’enflamme
Le prétexte, aussi futile soit-il, est le déclencheur qui met en lumière une série de malentendus, d’interprétations de mauvais aloi, de non-dits néfastes ou de ressentiments parfois très anciens. On ne sait plus quoi faire, on ne sait plus d’où vient ce froid jeté sur nos relations. Et surtout, on ne sait pas comment gérer, conscients que la collision pourrait être dommageable pour tous.
Mathieu, ingénieur sénior qui vit à Montréal depuis trois ans, n’en revient toujours pas du ressentiment de sa famille en France face à sa décision de passer les fêtes avec sa petite famille au soleil des Caraïbes et non en France. Cela n’a été que le révélateur de non-dits liés à son choix d’immigrer au Québec.
Le facteur distance, un amplificateur exponentiel
On peut se leurrer sur la genèse du différend. Qu’il s’agisse d’un léger malentendu, d’une rivalité larvée ou d’une profonde dissension, la distance ne fait que révéler ou amplifier. Il est important d’en avoir conscience pour tenter d’avoir une vision plus globale de la situation.
Et comme dans toute relation, nous avons notre part de responsabilité à hauteur de 100%… des 50% de la relation ! Le fait que nous soyons loin rend la résolution du conflit plus délicate. Nous sommes confrontés à des questionnements que nous aurions peut-être esquivés sur place ou qui se seraient dissouts avec la proximité, voire l’intimité du vécu.
La stratégie du tapis
L’une des manières les plus répandues et les plus inadéquates à long terme de se positionner face au conflit est la stratégie du tapis. Au lieu de mettre la lumière sur la difficulté dans la relation, on esquive, on fait comme si cela n’existait pas… On met la poussière sous le tapis, tout semble propre mais nous avons ce “petit motton sur le cœur” qui demeure. En tant qu’immigrants, on tente de privilégier la relation en espérant que cela se passe bien. On ne veut ni être “le méchant de l’histoire’” ni tenter de crever l’abcès : on préfère faire comme si tout allait bien, jusqu’à la prochaine crise du moins. On achète du temps, une stratégie peu recommandée car inefficace, soyons réalistes.
Amélia, issue d’une famille nombreuse dont la fratrie est disséminée sur plusieurs continents, a pendant de longues années, tenté en vain de garder un lien fort avec ses frères. En désespoir de cause, elle a cessé, changeant ainsi le pattern familial. Ce sont eux qui sont revenus vers elle à sa grande surprise.
Choisir, c’est aussi renoncer
Choisir de partir vivre à l’étranger, c’est aussi renoncer. Renoncer à certaines loyautés envers notre famille, nos amis ou notre milieu d’origine. En choisissant de partir, on se positionne quitte à risquer de perdre parfois beaucoup pour s’affranchir et trouver notre voie. Perdre la proximité, voire une certaine intimité avec les gens qu’on aime, perdre un vécu commun qui se construit de part et d’autre dans l’éloignement.
C’est exigeant, parfois ardu pour nous, mais également pour celles et ceux qui sont restés au pays et qui “subissent” notre choix. On jongle avec culpabilité, loyauté (aux autres et à soi), maturation de notre vie émotionnelle… Des aspects auxquels nous n’aurions pas forcément été confrontés en restant dans notre pays d’origine, ou du moins avec moins d’amplitude.
Vincent, qui était très proche de son frère, n’a découvert que plusieurs années après son départ pour le Québec, la peine immense et le sentiment de trahison que ce dernier avait vécu. Le déclencheur de cette découverte a été une anecdote par rapport à la relation de ses enfants avec son frère.
Revenir à l’essentiel
Alors face aux conflits, il est crucial de revenir à l’essentiel et de témoigner d’authenticité, même si cela exige de baisser la garde. Ce n’est pas une garantie, mais au moins un premier pas vers des possibles à conjuguer avec l’autre. Pour retrouver la fluidité dans le lien, tous les moyens de communication sont bons. Débridez votre créativité ! Se pencher sur la communication non violente peut être un outil d’une grande efficacité.
Pour désamorcer le conflit, voici quelques pistes :
-Rester dans le factuel (ne pas faire de supposition ou interprétation)
-Identifier et témoigner de son ressenti face aux faits (sans juger ni soi, ni l’autre)
-Ouvrir le dialogue en questionnant sa propre vision, interprétation et croyances
-Partager ses questionnements et sa bonne volonté
-Identifier ses besoins et faire une demande claire à l’autre
-Oser affronter nos peurs et poser des questions essentielles, de cœur à cœur, en étant respectueux et authentiques
-Proposer une troisième voie de collaboration avec l’autre pour aller au-delà du conflit, ensemble
Faire son deuil de ce qui a été
Et parfois, les bonnes intentions ne suffisent pas. L’espace qui nous sépare de l’autre est trop grand. Parfois aussi, il s’agit d’accepter le besoin de faire une coupure (de notre côté ou celui de l’autre), même si c’est douloureux. Il arrive également que l’incompréhension demeure dans l’équation relationnelle.
Quoi qu’il arrive, il s’agit de faire le deuil de ce qui a été et d’accepter la nouveauté à apprivoiser. Il n’y a pas de recette, ou de mode d’emploi, pas plus ici qu’ailleurs. Se confronter au conflit, plutôt que de le fuir, peut être une opportunité de développer notre liberté intérieure. C’est le travail d’une vie. Nos parcours de vie sont singuliers et intimes. C’est là que réside la magie des relations humaines.
Et joyeuses fêtes à vous et à votre famille, au Québec ou ailleurs !