Le gel complet du PEQ a créé une onde de choc chez les travailleurs temporaires. Pour beaucoup, c’est une nouvelle bataille dans un parcours migratoire déjà semé d’embûches. Et la déception est palpable.
Une voie vers la résidence permanente qui se referme
Cette décision du gouvernement du Québec tombée la semaine dernière suspend l’une des rares voies encore accessibles pour obtenir la résidence permanente depuis le territoire : le Programme de l’expérience québécoise (PEQ), volet « Travailleurs étrangers temporaires ». Jusqu’ici, il permettait à certains travailleurs d’y accéder après une expérience professionnelle suffisante. Il est désormais gelé, remplacé par le Programme de sélection des travailleurs qualifiés (PSTQ), un programme plus restrictif, fondé sur un système d’invitations. [Plus d’infos ici.]
Un statut temporaire, des projets en suspens
Pour des milliers de travailleurs étrangers installés au Québec, la résidence permanente est bien plus qu’un simple document administratif. Sans elle, difficile d’envisager une réelle mobilité professionnelle, un achat immobilier ou une stabilité à long terme pour leur famille. Le permis de travail fermé, qui les lie à un seul employeur, limite fortement les perspectives : changer de poste revient souvent à repartir de zéro.
Julie, chargée de projet dans le secteur de l’édition, vit cette précarité depuis son arrivée au Québec en 2022. « J’ai dû mettre en pause beaucoup de projets personnels et professionnels », confie la Française. Elle comptait déposer sa candidature au Programme de sélection des travailleurs qualifiés (PSTQ), mais le gel du PEQ l’oblige à revoir ses plans. Son projet d’acheter une première propriété avec son conjoint est lui aussi mis sur la glace.
Plus récemment, Julie a dû décliner une promotion, faute de pouvoir changer de poste avec son permis actuel. « Ce parcours est très fatiguant, car malgré mes deux masters, ma connaissance du français et mes années d’expérience ici, rien n’est garanti », déplore-t-elle.
Des changements imprévisibles
« Encore un changement immédiat, sans délai de la part du gouvernement », déplore Alice, assistante technique en pharmacie à Montréal. Cette Française s’intègre au Québec depuis bientôt trois ans, et pensait pouvoir déposer sa demande de résidence permanente via le PEQ cet été. Elle a été déçue d’apprendre qu’il faudrait compter sur la loterie du PSTQ.
« J’ai l’impression de me battre sans arrêt pour rester dans un pays qui ne veut finalement peut-être pas de moi », regrette Alice.
Même désillusion pour Florence, travailleuse sociale embauchée par le Réseau de la santé du Québec en 2023. Venue de France avec son conjoint et leurs quatre enfants pour répondre à la pénurie de main-d’œuvre, elle avait préparé son dossier avec soin pour assurer un futur dans la province à sa famille.
Le 5 juin à 10h45, elle dépose sa demande de résidence permanente via le PEQ. Quelques minutes plus tard, douche froide. Elle apprend que le programme est suspendu depuis minuit : « Je suis en colère contre le gouvernement girouette qui joue avec nos vies », s’insurge la mère de famille, qui a déménagé toute sa vie dans un container de 65m³ en se basant sur des promesses du réseau de la santé : « du travail pour plus d’une vie » et une résidence permanente « pas difficile à obtenir ».
Une charge émotionnelle qui s’accumule
Au-delà des complications administratives, ces changements nourrissent une véritable fatigue mentale.
Alice avoue avoir « perdu confiance ». Après un refus de permis de travail pour son conjoint plus tôt cette année, elle dit avoir développé « une peur irrationnelle face aux démarches d’immigration ». Elle prévoit maintenant de faire appel à un conseiller spécialisé. Florence, elle, s’est tournée vers un avocat.
Une volonté de rester, malgré tout
Ni Julie, ni Alice, ni Florence ne contestent le droit du Québec à ajuster ses critères d’immigration. Mais elles dénoncent un système imprévisible, sans préavis, qui les frappe en pleine trajectoire de vie.
« On reste, on continue, on n’est pas venus ici pour repartir. Mais c’est stressant », confie Florence, la mère de famille.
Toutes trois attendent le 1er juillet, la date prévue pour l’ouverture du nouveau Programme de sélection des travailleurs temporaires (PSTQ). Une porte vient de se fermer, mais une nouvelle s’ouvre, sous d’autres conditions, pour certains candidats.
« On verra si on rentre dans les cases cette fois-ci », espère Florence.
En attendant, une chose est sûre : pour ces travailleuses, le rêve québécois n’a jamais exigé autant de patience, de stratégie… et de résilience.