On en a parlé dans la presse : un serveur français a été licencié par un restaurateur canadien à Vancouver pour agressivité envers ses collègues. Selon lui, il aurait été victime d’une mauvaise perception de “sa culture française”. Nous avons voulu creuser la question : les Français doivent-ils contenir leur tempérament pour réussir professionnellement au Canada, dans le domaine de la restauration ou ailleurs ?
Des différences culturelles notables
Nous avons interrogé Sandrine Lassalle, présidente de l’association AINAF qui aide les arrivants francophones à s’intégrer au Québec. “Cela ne m’a pas surprise, nous confie-t-elle. Les Français ont tendance à être directs, à dire ce qu’ils pensent et à être très directifs. Ici, il faut plutôt être consensuel (…). Ce qui peut être pris pour de l’agressivité chez les Français, cela peut être la forme au niveau de la communication”, analyse-t-elle.
Laetitia, professionnelle en ressources humaines à Montréal, nous confirme cette tendance. “Dans les relations de travail au Canada et au Québec, il y a une culture du compromis. Elle est éloignée de la tendance à la confrontation que nous pouvons avoir en France, explique-t-elle. Cela peut provoquer des étonnements des deux bords dans le sens où nous n’avons pas, à la base, la même façon de demander ou négocier ce que nous souhaitons. Au Québec, il faut structurer ce que l’on souhaite en soulignant l’intérêt de la requête pour les deux parties”, précise-t-elle.
Ne pas avoir un tempérament belliqueux ni être dans une situation de négociation ou de conflit ne met pas pour autant à l’abri des maladresses. Cécile Lazartigues-Chartier, consultante en interculturel, en a fait les frais à son arrivée au Québec. “Je ne suis pas dans le rapport de force mais il y a eu des moments au début où j’ai dit de façon, me semblait-il à l’époque, diplomatique, ce que j’avais à dire (…) et cela a été mal pris. Maintenant je le vois venir à 10.000 kilomètres“, raconte-t-elle. “En matière culturelle, l’enfer est pavé de bonnes intentions“, ajoute la consultante.
D’autres manières de communiquer, pourtant bien intentionnées, peuvent également agacer les collègues, notamment ce qui peut être pris pour un sentiment de supériorité. “Ma première collègue, qui est devenue une amie depuis, m’a dit qu’au bout de 24h elle ne me supportait plus !”, se souvient Sandrine Lassalle qui parlait trop de ses expériences précédentes. “Ce n’était pas volontaire de ma part de me mettre en avant, c’était juste pour participer à la conversation“, explique-t-elle. Ma collègue en avait parlé à son conjoint qui lui avait dit “ne t’inquiète pas, c’est juste qu’elle est française !”.
Le domaine de la restauration : un milieu sous pression où il faut être vigilant
Certaines divergences peuvent se manifester particulièrement dans le domaine de la restauration, milieu sous pression où les Français auraient parfois tendance à ne pas mâcher leurs mots. Thomas Carpentier qui a travaillé dans des restaurants en France avant de s’installer au Québec, commente : “Quand on connait la restauration et la tension qui règne dans ce milieu, on peut avoir tendance à être très directif et cela peut être mal interprété par les Canadiens“.
D’où la nécessité de prendre le temps de s’adapter aux façons de faire locales, que ce soit avec les collègues ou les clients. “J’ai rencontré des Français qui étaient très courtois et pour qui ça se passait très bien et d’autres qui ne veulent pas changer leur façon de faire par rapport à la France et, forcément, ça pose des problèmes (…), commente Guillaume Paimparay, propriétaire du restaurant Caribou Gourmand à Montréal. Si on s’impose en tant qu’immigrant, ça ne marchera pas“.
La clé pour éviter les écueils dans tous les domaines d’activité : humilité, ouverture et adaptation
“À Rome, fais comme les Romains“, rappelle Cécile Lazartigues-Chartier qui encourage les nouveaux arrivants français à s’adapter. “La façon d’interagir avec les autres est très différente en France et au Québec, que ce soit dans le cadre d’un service à la clientèle, avec les collègues ou la hiérarchie. En tant que Français, qu’on soit des râleurs, des directifs ou plutôt dans la douceur et la rondeur, il y a un temps de latence où l’on doit, pour que ça marche bien et ne pas y perdre des plumes, regarder, écouter, capter : qu’est-ce qui se fait, qu’est-ce qui ne se fait pas ?“.
Invitée à une soirée de l’AINAF en juin 2017, Béatrice Dautzenberg, directrice générale de L’Oréal Professionnel Canada, donnait d’ailleurs ce conseil aux Français qui débutent dans un nouveau travail au Québec. “Ecoutez ! Attendez 90 jours avant de donner votre avis. Prenez votre temps“.
Certains se font aider par des professionnels. Sandrine Lassalle évoque le cas d’un directeur des opérations français. À son arrivée au Québec, ses réflexes directifs directement hérités de l’organisation verticale à la française (voir un article sur le sujet ici) ont été mal acceptés. “Il a réuni ses équipes, il a fixé des objectifs chiffrés“, raconte-t-elle. Les équipes n’ont pas suivi. “Il a pris un coach pendant deux/trois heures qui lui a expliqué comment faire“, poursuit-elle. “Il faut avant tout connecter avec l’équipe et bâtir une relation de confiance avec les employés avant de donner des objectifs“, conseille Laetitia, professionnelle en ressources humaines à Montréal.
Il faut faire d’autant plus attention à son comportement que les patrons, collègues ou partenaires en affaires québécois ne vont pas forcément exprimer clairement leur désapprobation. “Les Québécois ne vont pas vous dire ce qu’ils vous reprochent et pourquoi ils vous tournent le dos“, prévient Sandrine Lassalle. Dès lors, mieux vaut prévenir que guérir…
D’autant que les Français ont des qualités bien souvent hautement appréciées des recruteurs québécois ! “Les Français sont très recherchés“, confirme Diane O’Brien, recruteur chez GLBC-Capital Humain, qui évoque la valeur reconnue des formations françaises chez les consultants notamment.
Vous vous apprêtez à vivre votre première expérience québécoise ? Commencez par lire ces deux ouvrages recommandés par Cécile Lazartigues-Chartier : Le Code Québec et Les Québécois. De quoi éviter bien des erreurs culturelles !
One Response
Ça me fait penser aux Québécois qui se rendent dans l’Amérique du Nord anglaise, ils doivent eux aussi temporiser leur côté latin. Gesticuler un peu moins. Parler moins fort en groupe.