Mieux vaut le savoir. Au Québec, en vertu de la Charte de la langue française ou Loi 101, les enfants ont l’obligation de fréquenter l’école francophone jusqu’à la fin de leurs études au secondaire. Sauf si l’un des parents a reçu son enseignement primaire dans une école anglophone (preuves à l’appui). Si pour certains parents français, c’est tout un rêve bilingue qui s’effondre, pour d’autres, cela ne change pas grand chose.
“Quitte à être à l’étranger, je m’interrogeais sur l’opportunité du choix d’une école anglophone. Cela pouvait être le fun, bien qu’elle soit un peu grande (14 ans), qu’elle apprenne l’anglais en immersion totale, durant sa scolarité”, écrivait Sandrine Lassalle dans un billet publié sur LinkedIn en 2017 qui a rapidement abandonné son idée. “J’apprenais qu’en tant que résidente permanente, j’étais soumise (…) à la fameuse Loi 101, sur la Charte de la langue française. Impossible donc d’inscrire ma fille dans une école anglophone. Tout cela à cause de mon visa ? Cela me semblait dingue…”, racontait la mère de famille originaire de Bayonne qui se souvient avoir été très choquée en découvrant cette loi.
“C’était comme une atteinte à ma liberté, celle qu’on chérit tant en France. Je me souviens avoir trouvé ça intrusif à l’époque”, nous avoue Sandrine Lassalle contactée par téléphone. C’était avant qu’elle finisse par “comprendre” la posture québécoise sur l’épineuse question de la place du français au Québec. “Une amie québécoise, farouche défenseur de la francophonie, avec qui je partageais mes réflexions, me confiait ceci : nous sommes une enclave francophone dans une mer anglophone et donc très fragiles”, rapporte la Française qui estime que pour préserver la langue française, les Québécois n’ont pas d’autre choix que de l’imposer.
“De toute façon, ma fille parle anglais maintenant, même si elle est dans un système francophone. Elle n’aurait pas eu la même opportunité en France, ici l’enseignement est très différent : l’apprentissage est basé sur la communication alors qu’en France, tout est basé sur la grammaire. Le niveau d’anglais dans les écoles est très bon ici !”, explique Sandrine Lassalle qui a inscrit sa fille à L’Académie Michèle-Provost, une école privée mixte de langue française. “Quand elle est revenue de son premier jour d’école là-bas, ma fille était embêtée car tous ses petits camarades parlaient déjà super bien anglais !”, rapporte la maman en riant. “On ne vit pas très loin de Westmount et dans les cours de récré, les enfants parlent anglais quoiqu’il arrive ! C’est plus facile que de parler français”, raconte Sandrine Lassalle qui voit de plus en plus de parents anglophones mettre leurs enfants dans les écoles francophones. “Ils veulent que leurs enfants parlent français aussi”, lance celle qui les comprend.
Candice Miranda*, quant à elle, est une farouche partisane du plurilinguisme et a du mal à comprendre cette Charte. “Je suis peut-être très française mais j’estime que cette loi est une atteinte à ma liberté personnelle. J’ai l’impression qu’on m’interdit d’éduquer mon enfant comme je le veux”, nous a confié la jeune femme qui a la “chance” d’être en couple avec une Canadienne anglophone. “Comme ma conjointe a reçu la majorité de son enseignement primaire en anglais au Canada, on aura la possibilité d’inscrire notre enfant dans une école anglophone”, raconte celle qui se réfère aux conditions imposées par la loi.
“Ça ne devrait pas être imposé par le gouvernement”
“Quand j’étais petite, on m’a tout de suite mise dans une école maternelle anglophone pour que j’apprenne facilement l’anglais. Arrivée en deuxième année, j’ai changé d’établissement pour aller étudier en français et apprendre les verbes”, se souvient, Matilda Treadwell*, la conjointe de Candice Miranda qui considère que la loi 101 “enlève quelque chose” aux futures générations et les prive d’une éducation diversifiée, ouverte sur le monde. “L’éducation devrait rester une histoire de famille, un choix strictement parental. Ça ne devrait pas être imposé par le gouvernement. End of story”, lâche la trentenaire, agacée. “Les enfants devraient avoir l’option et l’opportunité d’être multilingue. Ils devraient pouvoir en être fiers“, raconte la maman bilingue qui conserve précieusement sa “lettre d’admissibilité” pour inscrire sa fille dans une école anglophone dès le moment venu. “Je la mettrai ensuite dans un système francophone et après, elle fera ce qu’elle voudra. Mais au moins je lui aurais donné le choix”.
Interrogée sur la place du français au Québec, la Canadienne estime que pour protéger une langue, il faut commencer par en prendre soin. “Au Québec, il faudrait déjà parler français correctement, étudier plus de littérature française et hausser le niveau du français dans les écoles”, estime celle qui en a fait l’expérience. “Si mon enfant préfère parler anglais, français, espagnol ou chinois, je ne serai pas offusquée. It doesn’t matter, c’est sa vie”.
Karen Gambaro non plus ne s’y retrouve pas avec cette loi. Installée au Québec depuis 12 ans, elle essaie de trouver une alternative pour que ses enfants parlent anglais couramment. “J’ai pensé les inscrire dans une école privée anglophone mais ça coûte cher…”, lance la Française, en faisant référence au réseau de l’enseignement privé (non subventionné) qui n’est pas soumis aux dispositions de la Charte relatives à la langue d’enseignement.
Confrontée à la même situation lorsqu’elle est arrivée au Québec il y a 20 ans, Cécile Lazartigues-Chartier a décidé de faire avec et de trouver des stratégies gagnantes. “À l’époque, je l’avoue, je manquais d’intelligence culturelle. Je n’avais pas compris les enjeux de réalités historiques et sociales au Québec. Je considérais la loi 101 comme un manque d’ouverture”, raconte la consultante interculturelle. “Si les Québécois n’avaient pas passé cette loi dans les années 60, on aurait mis nos enfants dans le système anglophone et tout un pan de la francophonie serait passé du côté de l’anglophonie. C’est une logique implacable”, estime Cécile Lazartigues-Chartier, consciente que cette loi limite une partie privée des décisions parentales.
Envoyer ses enfants en anglophonie
“J’ai finalement mis mes filles dans le circuit public francophone mais on est allés vivre à l’Ouest de l’île pour la mixité linguistique. J’ai tout fait pour que mes enfants puissent aborder l’anglais de façon différente”, se souvient la mère de famille qui n’hésitait pas à regarder les films en anglais avec ses filles et à les envoyer faire des activités parascolaires dans la langue de Shakespeare après l’école. “Tout au long de leur enfance, je les ai mises en contact avec l’anglophonie. C’était important pour moi.”
Parmi ses trucs et astuces à conseiller aux parents français “frustrés” par la loi 101 : envoyer ses enfants en vacances dans une autre province canadienne, en anglophonie. “Il y a des programmes qui existent pour ça via les YMCA ou les camps d’été, par exemple !”, raconte la spécialiste selon qui les moyens d’approcher et d’embrasser l’anglophonie sont à portée de tous.
“Ma fille a été dans le système francophone jusqu’au secondaire mais cela ne l’a pas empêchée de suivre un baccalauréat à McGill, l’université anglo par excellence !”, ajoute Cécile Lazartigues-Chartier. “C’est une réalité, il y a deux cultures qui se juxtaposent au Québec (…). La réalité culturelle entre les anglos et les francos est différente, c’est un fait”, rapporte la Française, ravie que ses enfants aient pu s’approprier la culture francophone à l’école. “Ce sont aussi des choix pragmatiques. Je savais que mes filles allaient baigner dans l’anglophonie par des moyens différents quoiqu’il arrive”.
* Les noms ont été modifiés