Quand ils montent dans l’avion, certains passagers sont saisis d’un mal étrange. Alors qu’ils ne boivent jamais de jus de tomate quand ils ont les pieds sur terre, ils en consomment en l’air. Pourquoi ? C’est la question bête de la semaine.
Si vous êtes coutumier du fait, sachez que vous n’êtes pas le seul. Scientifiques et compagnies aériennes se penchent depuis longtemps sur cette épineuse question. Il y a plusieurs années, la compagnie allemande Lufthansa a tenté d’éclaircir le mystère après avoir constaté que ses passagers assoiffés engloutissaient 1,3 million de litres de jus de tomate par an, soit presque autant que la bière (1,7 million). Un centre de recherche que Lufthansa a chargé de mener l’enquête a placé des individus dans un simulateur et a trouvé qu’ils préféraient systématiquement le jus de tomate en situation de vol qu’en dehors.
Pourquoi ? Certains chercheurs répondront “le niveau sonore”. C’est le cas de Robin Dando, spécialiste des sciences de la nourriture à Cornell University. Partant du constat que le bruit affecte les facultés gustatives, il a exposé plusieurs personnes à un bruit continu de 85 décibels, similaire à celui enregistré lors d’un vol. Les “cobayes” ont noté que le goût du jus de tomate était plus marqué que quand il était testé dans des conditions normales.
La raison: l’umami, une des cinq saveurs de base avec le sucré, l’acide, l’amer et le salé. Riche, onctueuse et plaisante, on la retrouve dans le jus de tomate et dans d’autres aliments comme le fromage, le jus de soja et les champignons grillés. Contrairement au sucré ou au salé, les chercheurs ont trouvé que la sensation de l’umami n’était pas altérée par le bruit environnant. “Le meilleur jus de tomate se trouve dans l’avion, résume Robin Dando. On n’observe pas le même phénomène dans les restaurants très bruyants car le niveau sonore n’atteint jamais celui d’un avion. On est aussi exposé au bruit de manière prolongée dans un avion. C’est l’un des seuls environnements où cela se produit“.
Autre raison avancée dans des études différentes: la pressurisation de la cabine. À plusieurs milliers de kilomètres d’altitude, les sens changent. À cause du manque d’oxygène, les récepteurs gustatifs et olfactifs sont moins efficaces. L’air est également plus sec, ce qui ternit la saveur des aliments sucrés et salés – et explique pourquoi vous pensez que votre plateau-repas n’a pas de goût. Grâce à ses propriétés, le jus de tomate échappe à ce phénomène.
La science ne répond pas pour autant à la question essentielle: pourquoi prend-t-on du jus de tomate en premier lieu ? Pour Robin Dando, “il y a des facteurs contextuels“. “Quand ils prennent l’avion, les gens sont excités. Ils partent en voyage, vont découvrir quelque chose de nouveau. Choisir une boisson nouvelle participe probablement de cela, dit-il.Anecdotiquement, des voyageurs m’ont aussi dit qu’ils prenaient du jus de tomate à l’aéroport“. D’autres mettent en avant le phénomène de mimétisme: un passager entend un de ses voisins commander du jus de tomate et se laisse tenter à son tour.
En tout cas, les compagnies aériennes sont prévenues: elles peuvent rogner l’espace entre les sièges, faire payer les valises en soute, mais elles n’ont pas intérêt à toucher au jus de tomate. Il est intéressant de noter que la boisson a traversé l’histoire de l’aviation sans connaître de turbulences. Proposée dès les premiers vols commerciaux, elle n’est jamais devenue payante contrairement à certaines boissons alcoolisées dans les années 70, quand l’accroissement de la compétition a poussé les compagnies aériennes à facturer des services. Tournée de jus de tomate pour tous.