“En tant que Français, on est souvent perçus comme arrogants, alors que pas du tout… C’est génétique ! (rires)” C’est sur ce ton taquin que nous avons fait connaissance avec Mrs Klor, à l’origine du collectif artistique français 123 klan. En 1992, à Lille, avec son conjoint Scien, ils ont été les premiers à oser mélanger graffiti et graphisme : 25 ans plus tard, “le concept est devenu courant”, lance la pionnière en la matière, installée à Montréal depuis 2007.
“On est venus ici une première fois pour visiter, on a adoré, on est rentrés en France, on a fait nos papiers et basta”, se souvient celle qui ne mâche pas ses mots et qui vit en suivant ses instincts. “On fait ce qu’on veut quand on veut ! On n’a pas de stratégie business non plus. Tout cela se ressent dans nos créations”, raconte Klor dont le collectif possède aussi sa propre marque de vêtements, Bandit1sm. Un terrain de créations où il est question de jouer sur les origines et expressions de ses compatriotes. Ce qui marche bien ? Le tshirt “Oh merde”, souvent réimprimé.
“On est dans une période hyper politiquement correcte et ça nous énerve !”
D’après la Lilloise, à l’heure actuelle, même les marques qui se disent “rebelles” ne le sont pas réellement, encore moins de ce côté-ci de l’Atlantique. “On est dans une période hyper politiquement correcte et ça nous énerve !”, assume la créatrice qui a fait des designs pour des grandes marques et qui a dû modifier, à plusieurs reprises, certains visuels. “C’était soit trop violent, soit pas assez santé, soit il y avait une cigarette à supprimer sur une mascotte, etc. On est plus punks en Europe ! (…) Peut-être un peu moins maintenant au niveau de la religion, mais on est quand même plus libres en France qu’ici”, estime Klor qui peut tout de même se targuer de compter Adidas, Nike, Stussy, Neff, Hurley, Converse, Reebok, DC Shoes, entre autres, parmi ses clients.
“On ne laisse personne entrer niveau investisseurs”
Klor et Scien qui tiennent à leur liberté d’action et de création plus que tout, ont toujours fait en sorte de préserver leur indépendance et leur “temps libre”. “L’esclavagisme, de nos jours, c’est l’argent. Avec Scien, on fait en sorte de payer nos factures, comme ça on n’a pas à se prostituer artistiquement. (…) Mais on ne laisse personne entrer niveau investisseurs. Idem pour les expos, on monte tout nous-mêmes en évitant le système des galeries véreuses”, avoue le couple qui s’y retrouve. Si leurs créations plaisent ou non ? Là n’est pas la question. “On s’en fiche. On a un délire, on le suit.” Un parti pris assumé qui paie et dont le public raffole depuis maintenant un quart de siècle. Cela ne s’invente pas.
En sortant leur fameux tshirt “French Arrogance” au Québec, ils comptent sur le second degré de leur cible (et de leurs détracteurs). “Nous, en toute arrogance, on s’adresse à tout le monde. Ce qui nous importe, ce n’est pas la langue : c’est de communiquer et d’échanger avec l’autre”, raconte Klor qui fait quand même l’effort de rester bilingue, notamment sur le blogue du collectif. “La langue n’a pas d’importance : c’est le contenu et le message que tu transmets qui priment. On s’adapte à notre interlocuteur selon le moment, le lieu. Dans une soirée, s’il y a des francophones et des anglophones, je vais parler aux deux, cela va de soi !”, explique l’ex prof de lettres qui comprend la loi 101 mais pas de là à faire “une chasse aux sorcières”.
Montréal, “the place to be” ?
À savoir si Montréal est un “bon plan” pour développer son affaire, Klor n’hésite pas à répondre du tac au tac : “Absolument pas ! Si j’étais opportuniste et que je voulais réussir, je serais à Los Angeles en ce moment. Mais j’aime Montréal plus que tout alors je reste ici, c’est un endroit où il fait bon vivre et où mentalement tu peux être équilibré”, raconte celle dont l’âge restera un mystère et qui refusera toujours de “se faire détourner créativement”.
“Tout comme je refuse d’imposer à un graphiste de copier-coller ce qu’on fait : je ne peux pas enfermer quelqu’un dans mon style à moi”, explique l’hyperactive qui délègue peu et qui se raccroche en permanence à son motto (anglo), “Style Is The Message”. Épris de liberté et dans un souci de cohérence, le duo n’a jamais voulu avoir de distributeurs ni de producteurs. “Ils auraient fini par nous demander de faire ce qui marche, et seulement ça. C’est logique, ils cherchent le profit !”, confie celle qui avoue ne pas avoir encore de Lamborghini mais ne pas vivre à la rue non plus.
À l’avenir, elle espère pouvoir faire produire ses vêtements au Canada. “Cela va nous coûter 3 à 4 fois plus cher (NDLR : les vêtements sont conçus à Mexico actuellement) mais on va essayer de ne pas trop bouger nos prix”, confie l’entrepreneuse qui prévoit d’arrêter de distribuer en magasins. De nouveaux défis qui ne semblent pas freiner le clan de créatifs, au contraire. “L’un de nos jumeaux, qui a 18 ans maintenant, nous rejoint aussi dans l’aventure…”, confie enfin la mère de famille, ravie que le projet prenne un nouveau virage familial.