Vous en avez déjà sûrement rencontrés : des Français avec un accent québécois à couper au couteau. Qu’ils le véhiculent volontairement avec une certaine fierté ou qu’ils l’empruntent sans forcément s’en rendre compte, ils font partie du paysage québécois. Rencontre avec une espèce qui n’est pas près de disparaître.
“Ma femme est québécoise, mes ami·e·s sont québécois·e·s, je suis immergée dans la culture et la langue en permanence, alors ça déteint sur mon accent, évidemment”, a confié Cécilia Defer, 32 ans, originaire de Toulouse et installée à Montréal depuis 2014. Ce sont d’abord les jurons québécois qui sont venus colorer sa langue maternelle et son accent toulousain. “Mes amies étaient fières d’entendre mon premier “Sti!” franc et massif quand j’ai renversé ma bière sur mon jean une fois en 2014 (…)”, se souvient la Toulousaine qui ne prétend pas avoir “perdu” sa langue maternelle pour autant. “J’ai envie de la garder, ne serait-ce que par rapport à mes futurs enfants, je veux qu’ils gardent cet héritage de moi.”
Delphine Giuliano, 26 ans, une youtubeuse que certain·es connaissent mieux sous le pseudo de Denyzee, avoue quant à elle avoir perdu sa langue maternelle à 80% depuis qu’elle vit au Québec. “Il m’est extrêmement difficile de raconter quelque chose à mes proches français sans m’arrêter aux 2 ou 3 phrases pour essayer de trouver une « traduction » aux mots et expressions que j’emploie”, raconte Delphine qui continue à utiliser ses expressions françaises préférées comme “faire sa commère”, “être ficanasse”, “couillon”, “ça va Marseille”, “t’abuses” mais aussi des mots en verlan qu’elle doit expliquer à ses interlocuteurs québécois.
“J’entends vraiment que j’ai un accent « hybride » mi-québécois, mi-français. J’ai pris le phrasé et les intonations québécoises ainsi que les tournures de phrases et la grammaire d’ici. Mais je ne pense pas que j’ai « l’accent québécois ». Je suis capable de l’imiter, mais je ne parle pas avec l’accent québécois dans la vie de tous les jours. Certains sons sont restés intacts, d’autres se sont “québécoitisés””, confie Delphine Giuliano qui, dès son arrivée au Québec en 2013, a cherché “très fortement” à imiter l’accent québécois.
” (…) je me sens aussi complètement déracinée. À avoir trop voulu imiter l’accent québécois (…), j’en ai perdu ma façon de parler”, explique la youtubeuse, heureuse de son accent, qui regrette seulement de ne pas s’être enregistrée vocalement avant cette transformation. “J’aurais pu me raccrocher à un souvenir de qui j’étais avant de venir au Québec”, confie Delphine qu’on prend maintenant pour une anglophone en France à cause de son accent hybride.
“Je pense que j’ai vraiment un accent unique”
“C’est assez drôle mais j’aimerais avoir la faculté de jongler entre les 2 accents, un peu comme Paul Taylor le fait. (…) Les Québécois me répètent que je n’ai pas l’accent québécois et les Français estiment que je n’ai plus l’accent français… Je pense que j’ai vraiment un accent unique”, lance Delphine qui, comme Cécilia, sacre beaucoup en québécois.
“C’est si fluide et facile à dire, je préfère les consonance à l’oreille. Quand je suis vraiment énervée, j’insulte en français par contre (…)!” La jeune femme utilise également les fameux “ben voyons dont”, “voyons toé”, “tsé”, “faque”, “genre”, “ben la”, etc. “Depuis quelques années, j’utilise aussi l’expression “ben la gracias” de la pub Familiprix qui me fait beaucoup rire et qui est extrêmement québécois.”
S’intégrer par l’accent
Quand elle “jase” avec sa famille française, Cécilia constate que son accent s’adapte naturellement. “Je reprends rapidement l’accent du sud et les expressions qui vont avec”, confie celle qui jongle avec des “restes” de son français natal qui n’ont aucun équivalent ni en français international ni en québécois. “Pour les plus grands fous rires de ma compagne québécoise qui se régale du sud chantant !”
Si elle a cherché à prendre l’accent ? “Inconsciemment, oui. Quand on arrive ici, on ne veut pas être assimilé au stéréotype du Français prétentieux et hautain du Plateau qui croit que tout lui est dû. Alors j’avais deux choix : forcer mon accent du sud ou m’intégrer en prenant l’accent québécois. Je l’ai pris avec joie”, se souvient la jeune femme qui a trouvé cela plutôt naturel d’autant qu’il y a, selon elle, des expressions et prononciations qui se rejoignent. “À Toulouse, pour dire “à un moment donné”, on va prononcer ça “Amandonné”. Ici, au Québec, c’est “Amanné” !”
D’après Mireille Tremblay, professeure à l’Université de Montréal spécialiste de sémantique lexicale et de morphosyntaxe, il est tout à fait normal de prendre l’accent du pays dans lequel on se trouve. “Je dirais qu’il s’agit plutôt d’un phénomène social, qui est lié souvent au désir d’intégration. L’âge de l’arrivée peut aussi être un facteur déterminant”, explique l’enseignante qui précise qu’il arrive également que certaines personnes conservent la prononciation de leur dialecte d’origine.
Interrogé à son tour sur ce phénomène linguistique, Victor Boucher, professeur agrégé à l’Université de Montréal et spécialiste des sciences de la parole et de la voix, a d’abord été surpris par le sujet. “C’est assez particulier que les Français prennent l’accent québécois. Le français avait un certain prestige avant, comparé au québécois. C’est surprenant !”, a lancé le professeur avant d’ajouter que dans ce cas précis, il s’agirait certainement de diglossie. “Ici, les Français ont un choix à faire entre le québécois et l’anglais : il faut se féliciter qu’ils choisissent le québécois ! (rires)”.
Un choix que Cécilia ne s’est pas résignée à faire : il lui arrive de parler français (avec l’accent toulousain), québécois et anglais dans la même journée. “Ma première job était dans un milieu complètement anglophone. (…) Aujourd’hui, j’ai toujours des amis anglophones et je parle quotidiennement avec eux, je me perfectionne. En France, on se fout de toi quand t’es un minimum bilingue, ici c’est la norme. J’aime ça !”, raconte Cécilia qui a commencé à se faire charrier sur son accent québécois par certains de ses proches, au début de son immigration.
“Je n’ai pas aimé qu’ils se foutent de moi mais j’étais fière, vraiment. J’avais comme un sentiment d’accomplissement d’avoir réussi à m’intégrer”, confie la développeuse web, selon qui son accent québécois est aussi une marque de respect vis-à-vis des personnes qu’elle côtoie.
La tournure qu’elle utilise le plus? “J’ajoute un -tu dans toutes mes questions. On arrive-tu? T’as-tu faim? Ça te va-tu?”. Parfaitement intégrée, on vous dit.