Suzanne Lachance porte la France dans son cœur depuis toujours. Elle a façonné son imaginaire grâce aux récits de la Comtesse de Ségur, chante les paroles du répertoire français et préside une association qui veut renforcer les liens entre le Québec et la France. Québécoise de naissance et fière descendante des Français de Nouvelle-France, elle aspire à obtenir la nationalité française et met tout en œuvre pour y parvenir.
Ancienne conseillère municipale de la Ville de Longueuil et candidate aux législatives affiliée au Bloc Québécois, Suzanne Lachance porte en elle une vie d’investissement politique et communautaire au Québec. Pourtant, elle affirme s’être toujours sentie plus française que québécoise. « La culture française fait partie de moi », assure la septuagénaire, qui confie avoir été toujours abreuvée de littérature française, faute d’une offre suffisante au Québec.
Suzanne Lachance voudrait devenir française, et son désir ne date pas d’hier. C’est d’ailleurs une revendication qui revient fréquemment dans les cercles franco-québécois. L’idée a commencé à germer dans l’esprit de la Québécoise lorsqu’elle a fait la rencontre du vétérinaire François Lubrina, ancien représentant des Français de l’étranger et ardent défenseur des relations entre la France et le Québec. En 1980, il a été le premier à se lancer dans l’arène en portant une pétition revendiquant le droit des descendants de Nouvelle-France à obtenir la nationalité française.
Même si cette première initiative s’est soldée par un échec, elle a toutefois insufflé à Suzanne Lachance la motivation nécessaire pour reprendre le flambeau et poursuivre les démarches. « À cette époque, les historiens croyaient tous que la porte était fermée », se souvient Suzanne Lachance. Elle s’est heurtée à un mur pendant près de quarante ans, jusqu’à ce qu’elle croise le chemin d’Édouard Baraton, il y a cinq ans.
Lorsqu’elle a rencontré le jeune historien, qui préparait une thèse sur la réintégration dans la nationalité française par les Québécois, Suzanne Lachance a vu naître un nouvel espoir. « Il a trouvé une voie de passage, il croyait vraiment que la France pouvait reconnaître la nationalité française à tous les descendants français qui se trouvaient ici au moment du Traité de Paris », raconte la Québécoise.
Cette voie de passage, Édouard Baraton l’a trouvée en remontant jusqu’en 1763, l’année de la signature du Traité de Paris, qui a entériné l’annexion de la Nouvelle-France par l’Empire britannique. Lorsque le territoire a été cédé, grâce au droit français de l’époque, les habitants français (dont les Autochtones catholiques), se sont retrouvés dans une situation juridique originale : « Ils n’étaient plus sujets du roi de France mais naturels français, ils ont perdu le lien politique mais gardé un lien en droit civil », explique Édouard Baraton. Si les anciens Français devenus Québécois ont perdu leur lien avec la nationalité française, ils ont hérité d’un droit à la réintégration. Depuis 1993, l’article 21-14 du Code civil leur offre la possibilité de présenter une demande sans limitation générationnelle.
Une Québécoise qui avait déposé un dossier a reçu une réponse négative en 2010 de la part des autorités françaises. Selon l’historien, leur motif de refus, à savoir la cession du territoire aux britanniques lors de la signature du Traité de Paris, n’est pas recevable. Il explique d’ailleurs son argument mieux que quiconque dans ce texte académique.
Selon Édouard Baraton, le dossier de Suzanne Lachance est exemplaire. Pour satisfaire les exigences de l’article 21-14, elle a dû faire certifier par un généalogiste agréé qu’elle est bien une descendante de colons de Nouvelle-France, et démontrer qu’elle a « soit conservé, soit acquis avec la France des liens manifestes d’ordre culturel, professionnel, économique ou familial ».
Suzanne Lachance n’a eu aucun mal à retracer son ascendance jusqu’à son ancêtre normand, qui a émigré en Nouvelle-France au 17ème siècle. Elle n’est d’ailleurs pas la seule Québécoise capable de remonter sa généalogie sans encombre. Le généalogiste Bertrand Desjardins affirme que « c‘est facile d’établir sa généalogie au Québec, car toute l’information est recensée ». Ce chercheur est l’actuel responsable du Programme de recherche en démographie historique, qui recense de façon exhaustive la population canadienne-française depuis début de la colonie jusqu’à 1861. « Après cette date, il suffit de remonter de trois générations par siècle, et on a ce qu’il faut », ajoute-t-il.
La seconde condition, en revanche, confère plus de pouvoir au ministre français de la Justice, à qui revient la décision finale. Suzanne Lachance met en avant près de dix années en tant que présidente régionale de l’association Québec-France. Reste à voir ce qu’en pensera le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti.
La question que tout le monde se pose est de savoir si cette brèche pourrait ouvrir la porte à tous les Québécois souhaitant devenir Français. Toujours est-il que Suzanne Lachance fait preuve d’une détermination sans égal. « Je le vois plus comme une question de droit que comme une question de politique. Si j’y ai droit, j’y ai droit. On priverait quelqu’un d’un droit à cause de considérations administratives ? », s’interroge-t-elle.
Si une réponse négative leur parvient, Suzanne Lachance et Édouard Baraton se tiennent prêts à saisir la justice française. « Je suis un légaliste. Je comprends que l’État français n’applique pas toutes ses lois, mais dans ce cas, qu’il aille devant le Parlement, qu’il fasse réécrire les articles du code civil qui posent problème, et qu’il dise les yeux dans les yeux aux Québécois que la porte est fermée », affirme Edouard Baraton.
Le dossier de Suzanne Lachance a été déposé au Consulat français de Montréal et soumis au ministère de la Justice à Paris. L’administration française garantit une réponse sous six mois dès la réception de l’accusé de réception. À ce jour, elle n’a toujours pas obtenu cet accusé.
Suzanne Lachance attend fébrilement le retour des autorités françaises : « Quand vous éprouvez un sentiment d’injustice, qu’on reconnaît le problème et qu’on vous accorde réparation, il y a un sentiment de délivrance. J’aurais le sentiment de faire ça pour tous mes ancêtres qui auraient voulu la même chose. Si la réponse est positive, ce serait une très grande joie. »
Suzanne Lachance raconte son histoire et celle de son ancêtre normand dans un film documentaire français réalisé par Pascale Deleule et Yves Loiseau.