Le Québec, laboratoire d’idées pour la politique française… L’idée n’est pas neuve et Montréal est habitué à voir débarquer les ministres et élus français à la recherche de solutions. Le ministre de la justice Eric Dupond-Moretti, fort de ses liens avec la province, ne pouvait y échapper.
Les Français de Montréal étaient invités jeudi à l’entendre sur le sujet, au cours d’une discussion entre le ministre, le député Christopher Weissberg et la Consule générale Sophie Lagoutte se sont réunis pour échanger sur l’état des systèmes de justice canadien et français.
Sa rencontre avec le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, a renforcé le désir d’Éric Dupond-Moretti de s’inspirer du modèle canadien. « Il y a de bonnes ondes qui sont passées entre nous, du Québec à la France et, je l’espère, dans l’autre sens », a confié le Ministre, alors que s’achèvent les États généraux de la justice et qu’il doit présenter prochainement les lois qui en seront issues.
En tant que fin connaisseur des arcanes du système, Éric Dupond-Moretti ne peine pas à reconnaître ses faiblesses. « J’avais une vision charnelle de la justice, j’en connais aujourd’hui les qualités mais aussi les défauts », a-t-il confié, relevant notamment la lenteur du système et sa méconnaissance par les citoyens parmi les grands enjeux actuels.
« La justice, c’est notre pacte social, et cette institution est absolument essentielle », a rappelé Éric Dupond-Moretti avant d’exprimer son inquiétude face à l’escalade des discours populistes au sein du débat public.
Après avoir mentionné certaines des mesures déjà mises en place par Emmanuel Macron et son gouvernement comme notamment un renforcement des moyens humains et matériels du système judiciaire, le ministre de la Justice s’est tourné vers le public afin d’échanger autour de ce que le modèle canadien pourrait apporter à la France.
Avant d’intenter un procès, il n’est pas rare que se pratiquent au Québec ce que l’on nomme des Conférences de Règlement à l’amiable (CRA). L’objectif est de faire le choix de la médiation pour tenter de résoudre les litiges sans avoir à se rendre devant un tribunal.
Éric Dupond-Moretti a manifesté pour cette pratique un vif intérêt et une claire intention de mettre en place ce type système en France.
Comme cette pratique implique que le juge intervienne au milieu des échanges, un avocat français travaillant désormais pour le barreau du Québec a demandé si les professionnels français accepteraient de « descendre dans l’arène ». « Les juges doivent accepter de laisser un peu de leur impérium. Moi je n’ai pas 20 ans devant moi, donc on va aller vite », affirme le Ministre qui souhaite inviter des magistrats québécois afin qu’ils partagent leur vision de la médiation avec les Français. « Pas de pessimisme, un optimisme mâtiné d’une forme de lucidité », a-t-il ajouté.
Les recours collectifs (class actions en anglais) sont a priori bien ancrés dans le système canadien. À la question de savoir pourquoi ils peinent à devenir une pratique courante en France, Éric Dupond-Moretti a expliqué qu’une directive européenne était en train d’être mise en place pour favoriser ces procédures.
Éric Dupond-Moretti a observé qu’au Québec, les enfants amenés à se présenter au tribunal visitent en amont la salle d’audience, s’assoient sur le siège du juge et parfois même enfilent sa robe. « Ça démystifie », affirme le Ministre avant d’ajouter qu’il compte bien adopter cette pratique en France.
La question du développement en France de juridictions spécialisées pour les violences intra-familiales, des Cours unifiées de la famille, a également été posée. Éric Dupond-Moretti a confirmé qu’une mission parlementaire était en discussion à ce sujet.
Lorsqu’un participant a mentionné avoir constaté un effritement des libertés publiques en France, le Ministre a contesté en affirmant que l’heure était encore à la prévention : « Au contraire, nous sommes vigilants à ce que ces libertés soient totalement préservées. »
Un autre spectateur a fait état de son inquiétude quant à une « perte de la raison dans le débat public ». À l’heure où on entend parler de rétablissement de la peine de mort sur les plateaux de télévision, la justice peut-elle intervenir d’une quelconque manière ?
« Sur certains plateaux, avec une vulgarité absolue, on fait même voter les téléspectateurs, ben voyons donc ! », s’est exclamé Éric Dupond-Moretti en reprenant une expression typiquement québécoise. « Il y a les populistes qui poussent de partout, on est pas prêts de ne plus entendre ces discours. Mais il faut débattre, il faut mouiller sa chemise. »
À plusieurs reprises, le public a demandé à Éric Dupond-Moretti de rendre des comptes.
Une personne a mentionné « la guerre » opposant le Ministre Simon Jolin-Barrette au système judiciaire québécois. Éric Dupond-Moretti a affirmé ne pas souhaiter commenter les éventuels conflits en interne d’un gouvernement qui n’est pas le sien.
La justice française envisage-t-elle des solutions pour que les victimes de viol et d’agression sexuelle perçoivent moins le système judiciaire d’aujourd’hui comme un obstacle et davantage comme un support ?
Éric Dupond-Moretti a rebondi sur cette question pour annoncer que le projet d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution française est en bonne voie d’être adopté. L’ancien avocat a ensuite rappelé l’importance de préserver l’indépendance des juges. Il a affirmé que même si elle est souvent qualifiée de laxiste, la justice est en réalité plus sévère qu’avant.