Vous êtes vous déjà étonné d’être tutoyé par un parfait inconnu vous abordant dans les rues du Québec ? Pourquoi le tutoiement est-il si répandu dans cette partie francophone de l’Amérique du Nord et surtout comment en maîtriser la pratique ? C’est notre question bête de la semaine.
Un océan sépare les Québécois des Français, ne l’oublions pas. Si la langue est -globalement- la même, les deux sociétés se sont construites de manières sensiblement différentes.
Selon Julie Auger, sociolinguiste et professeure titulaire au département de linguistique et de traduction de l’Université de Montréal, l’histoire permet d’expliquer en partie pourquoi le tutoiement est employé plus souvent au Québec. La société québécoise est plus jeune et n’a pas développé le lien que la France a longtemps entretenu avec la noblesse et la royauté.
L’enseignante souligne avec un brin de légèreté et une pointe d’humour l’importance des influences européennes et américaines dans la culture québécoise : « Je pense que le Québec c’est un peu comme si on prenait le meilleur aspect de nos racines françaises et la plupart des bons aspects du cadre nord-américain. » Il semblerait que les barrières sociales soient moins marquées en Amérique du Nord, ceci expliquant une tendance au tutoiement plus prononcée dans cette région du monde.
L’exemple de la bise en guise de salutation est évocateur. Julie Auger raconte que les francophones du Québec tendent à faire la bise plutôt qu’un hug, préféré par les Canadiens anglophones. Ils la pratiquent en revanche moins systématiquement que les Français de France et la réservent généralement aux proches qu’ils n’ont pas vus depuis quelques temps.
Originaire de Québec, Julie Auger a observé des différences en matière de tutoiement entre les différentes villes de la province. À Québec, on entend beaucoup plus de réflexes de vouvoiement qu’à Montréal, métropole pour le moins cosmopolite. Il convient de s’adapter à la ville dans laquelle on se retrouve.
Une question subsiste. Peut-on associer le tutoiement au you des anglophones ? Le bilinguisme davantage répandu à Montréal qu’à Québec pourrait expliquer le fait que le tutoiement soit moins systématique dans la capitale nationale. Selon la sociolinguiste, bien qu’un lien de corrélation soit facile à établir, il est difficile de confirmer une quelconque relation de causalité.
Ce serait une erreur de considérer que le vouvoiement n’existe pas au Québec. Il peut être utilisé comme une marque de respect, une intention de marquer une distance ou d’instaurer une relation de pouvoir.
« Ici on aime les comportements plus symétriques, ce qui n’empêche pas les asymétries », précise Julie Auger. En tant qu’enseignante, cette dernière préfère être vouvoyée par la plupart de ses étudiants.
Dans le cadre de relations où s’exerce un certain pouvoir ou transfert de compétences, le vouvoiement est souvent plus approprié. Il est commun par exemple de vouvoyer son médecin ou son avocat, quel que soit l’âge du professionnel.
« Je pense qu’entre personnes jeunes, le tutoiement n’est jamais déplacé. » Julie Auger estime qu’il est d’usage lorsqu’on a moins de trente ans de tutoyer les personnes de la même tranche d’âge lorsqu’il est question d’une relation symétrique. Il peut s’agir d’une rencontre fortuite, une discussion avec un collègue ou encore un échange avec l’équipe de service d’un restaurant.
« Lorsqu’on vieillit, on craint une asymétrie. J’ai commencé à vouvoyer pour éviter que mon tutoiement soit mal interprété. » Julie Auger confie désormais vouvoyer les personnes plus jeunes afin d’éviter tout risque que ses interlocuteurs reçoivent son tutoiement comme un manque de respect. Aucune règle claire ne semble néanmoins être établie. Ce changement d’habitude repose sur la décision de chacun.
Les habitudes évoluent constamment, rien ne peut être tenu pour acquis. Pour exemple, alors que les professeurs d’école se faisaient tutoyer à l’époque où Julie Auger était enfant, de nouveaux enseignants choisissent de se faire appeler monsieur ou madame et d’être vouvoyé afin de remédier à des problèmes de discipline.
La sociolinguiste affirme que la question du tutoiement est et demeurera complexe. Si on souhaite saisir une culture dans son ensemble, il faut s’y plonger et prendre conscience que la langue évolue au rythme de la société.