Si vous habitez Outremont, vous êtes à Montréal, mais à Westmount vous êtes dans une autre ville. La banlieue en périphérie, on connaît. Mais pourquoi, à Montréal, trouve-t-on des municipalités encerclées par des arrondissements montréalais, telles le village d’Astérix ? Quelques explications avec Paul-André Linteau, professeur au département d’histoire à l’UQAM et spécialiste de l’histoire de Montréal*.
Dans la première moitié du 19e siècle, la démocratie municipale voit le jour à Montréal mais à l’époque, la ville comprend uniquement le Vieux Montréal et ses quartiers voisins immédiats. “Au fil des ans, surtout à partir de 1870, on voit se multiplier de petites municipalités tout autour de la ville (…). À une certaine époque, cela représentait plusieurs dizaines de municipalités dans l’île de Montréal“, explique Paul-André Linteau. Elles sont graduellement annexées par la ville de Montréal pour devenir des “quartiers” au 20e siècle.
“Certaines villes résistent toutefois à l’annexion, en particulier des villes bourgeoises (Westmount, Outremont) qui voulaient pouvoir gérer leur propre territoire à leur façon, avec leur propre taxation, souvent moins élevée“, poursuit le professeur. C’est ainsi que Westmount, par exemple, s’est retrouvée encerclée par plusieurs quartiers intégrés à Montréal.
L’histoire aurait pu en rester là mais au cours du 20ème siècle, l’idée de partager certaines dépenses (la police, par exemple) tout en gardant une certaine autonomie, séduit néanmoins ces villes autonomes et c’est l’objet de la Communauté urbaine de Montréal qui voit le jour en 1970. “À partir de ce moment là, on a réparti certains services sur l’ensemble de l’île (…) mais plus on avançait, moins ce partage était satisfaisant“, explique le professeur. “La ville de Montréal avait des difficultés et on réalisait qu’il fallait planifier à une échelle plus grande, pousser plus loin l’intégration de certains services“.
Cette réflexion est menée à l’échelle de tout le Québec et en 2000, le Parti Québécois décide d’annexer de force les villes récalcitrantes. La fusion entre en vigueur le 1er janvier 2002 à Montréal, qui compte alors 27 arrondissements. “Cela a suscité des réactions assez fortes, surtout dans le West Island où la communauté anglophone était plus importante“, raconte Paul-André Linteau.
“Ce n’était pas tant une question d’anglophones/francophones qu’une question de classes sociales, estime le professeur. Les banlieues de l’ouest de l’île, beaucoup plus riches, voulaient protéger un certain cadre de vie, résister à une taxation trop poussée, etc.“.
Pour faire avaler plus facilement la pilule des “fusions forcées”, le gouvernement donne aux villes transformées en arrondissements plus de pouvoirs. Toutefois, le gouvernement libéral de Jean Charest va donner à ces municipalités la possibilité de se désaffilier, honorant ainsi une promesse faite pendant la campagne électorale de 2003.
C’est l’objet de la “défusion” obtenue par 15 municipalités par référendum en 2004. “Le gouvernement avait fixé des contraintes importantes en termes de vote nécessaire pour se désaffilier de Montréal“, explique Paul-André Linteau. “Le vote en faveur de la désaffiliation a surtout réussi dans le West Island où l’identité locale était très forte“.
C’est ainsi que l’île de Montréal a pris sa forme actuelle, avec 19 arrondissements et 15 villes de banlieue, dont certaines (Westmount, Côte Saint Luc) enclavées (voir une carte claire de la répartition actuelle ici).
Le résultat peu paraître un peu incongru, mais c’est le fruit d’un compromis. “On hérite de cette situation un peu bancale, reconnait le professeur. Il y a une tension continuelle entre le local et le central, c’est inévitable, mais on réussit à fonctionner. Il y a un Conseil d’agglomération où les tensions peuvent s’exprimer (…). À Montréal, on a réussi assez bien à naviguer là-dedans, de façon pas trop douloureuse sans régler tous les problèmes évidemment. Il n’y jamais de solution miracle !“.
*Paul-André Linteau a notamment écrit “Une histoire de Montréal”, éditions Boréal.