Une galette poulet sauce algérienne vous manque et tout est dépeuplé. De temps à autre, l’éternelle question refait surface sur les forums d’expatriés : où diable peut-on trouver un kebab à Montréal, l’un de ces délices qui nourrissent les étudiants et rassasient en fin de soirée dans toutes les villes de France ? Enquête sur cette absence énigmatique du paysage culinaire montréalais.
Aux yeux des Français, le kebab est un incontournable de la restauration rapide. Un pain moelleux ou une galette, de la viande grillée, des crudités et une généreuse dose de sauce… Voilà ce qu’est un kebab « à la française », du moins à première vue. En réalité, c’est encore plus précis.
« N’importe quelle viande que tu grilles est un kebab », lance Antoine Mouillot, fondateur et propriétaire de Saint Döner (on vous en dit plus juste après). En effet, Kebab est un mot arabe qui signifie viande grillée. Döner, connu de tous les amateurs de viande grillée, est un mot turc qui veut dire rotatif. Par assimilation, le Döner Kebab est un plat turc de viande grillée sur une broche de façon rotative.
Le fameux döner kebab, dont les Européens raffolent depuis plusieurs décennies, a émergé en Allemagne dans les années 1970 au cours d’une importante vague d’immigration turque. Si Berlin est le berceau de cette révolution culinaire, les autres pays d’Europe n’ont pas tardé à se l’approprier. Aujourd’hui, selon les statistiques, 350 millions de kebabs sont dégustés chaque année dans l’Hexagone, soit 11 kebabs par seconde.
Même si les Français ont l’habitude de surnommer leur kebab le « grec », c’est bien d’une cuisine d’origine turque qu’ils se délectent quotidiennement. En revanche, à Montréal, la présence de diverses diasporas façonne la scène culinaire de façon à privilégier les kebabs libanais et grecs comme le shawarma et le gyros… tandis que le döner turc se fait rarement apercevoir.
Ce n’est pas l’envie qui manque aux restaurateurs montréalais d’offrir à leurs clients les plaisirs du kebab « à la française », mais ce n’est pas sans raison s’il demeure quasiment absent du paysage culinaire québécois.
« C’est un peu un projet utopique de vouloir faire un kebab de bonne qualité à Montréal », confie Antoine Mouillot.
L’aventure entrepreneuriale de ce français installé à Montréal depuis plus de dix ans illustre parfaitement cette problématique. En 2021, il a ouvert l’un des rares kebabs « à la française » en ville, le Saint Döner (4182 rue Saint-Denis, Montréal). Son établissement encore peu méconnu du grand public en est à son second local. Aujourd’hui, il est niché au fond d’un dépanneur coréen.
Au Saint Döner, on retrouve l’esprit du kebab « à la française ». Viande de veau et de poulet marinée pendant toute la nuit selon une recette kurde, sauce blanche et garniture salade-tomate-oignons, tout y est. Pour proposer un produit aux saveurs semblables à celles de la France, Antoine Mouillot a tout appris à Paris auprès d’un restaurateur kurde. « Il m’a montré comment il faisait sa broche et sa marinade, c’est quelque chose qui se transmet de père en fils », raconte-t-il.
Selon Antoine Mouillot, fonder un kebab « à la française » à Montréal est une entreprise complexe pour trois raisons principales, à savoir la qualité de la viande, l’impossibilité d’importer certains produits européens et la crainte de ne pas trouver de clientèle.
« À qualité égale avec l’Europe, le prix de la viande est extrêmement élevé ici », assure l’entrepreneur. Ce dernier est intransigeant sur la question, il ne proposera pas de viande de piètre qualité produite avec des antibiotiques et des hormones de croissance. L’un des défis est de trouver un équilibre entre la qualité du produit et son prix de vente.
Par ailleurs, un restaurateur de kebab döner à Montréal doit faire face à une obligation qui peut s’avérer contraignante et coûteuse, celle de mariner sa viande soi-même. « La quasi-totalité des kebabs consommés en France sont industriels », explique Antoine Mouillot. En effet, les morceaux de viande sur broche marinés à la turque en production industrielle sont accessibles exclusivement en Europe. « Pour des raisons de contamination notamment, c’est très compliqué voire impossible de commander des broches et de leur faire traverser l’Atlantique », indique l’entrepreneur. « On ne peut pas acheter le produit tout fait, mais de toute manière, ce n’était pas notre volonté, on le prépare maison parce qu’on tient la recette », ajoute ce dernier.
Et contrairement à toute attente, lancer un nouveau produit n’est pas toujours payant. Il faut parfois oeuvrer doublement pour habituer une communauté à une nouvelle cuisine, à de nouvelles saveurs. « Les gens ne veulent pas toujours prendre le risque de créer un marché qui n’existe pas », affirme Antoine Mouillot. La communauté française de Montréal est-elle suffisamment importante pour permettre au kebab de pénétrer le marché ?
Nos errances sur les réseaux sociaux ont mené vers quelques adresses qui parviennent (plus ou moins) à combler le manque des amateurs de kebab. Même s’il est difficile de dénicher un « menu galette mixte sauce blanche salade tomate oignons », quelques cuisines semblent être une alternative acceptable selon les internautes : Antep Kebab, Mont Istanbul, Champion Pizza, Pizza Doner Kebab, La ligne rouge et, maintenant vous le connaissez, le Saint Döner. Et ce dernier s’en rapproche très fortement.
Et heureusement, quelques sauces françaises ont traversé l’Atlantique. Vous trouverez de la sauce samouraï et de la sauce algérienne en épicerie, mais ce sera plus difficile, voire impossible de trouver de la sauce biggy, andalouse ou hannibal.
« Beaucoup de Français demandent à manger leur kebab dans une galette », observe Antoine Mouillot qui n’exclut pas la possibilité de proposer cette option à ses clients dans le futur.
En attendant le sauveur qui ramènera votre galette mixte sauce algérienne au Québec, il ne vous reste qu’à vous consoler avec un tacos français. Lui s’est frayé sans peine un chemin vers la belle province. Viande au choix, frites et sauce fromagère… Ce plat haut en calories est un hybride entre le sandwich et la galette de kebab. C’est l’alternative que vous trouverez à foison à Montréal.