Son dernier ouvrage en deux tomes, Culottées, figure dans le top 15 des bandes dessinées les plus vendues en France en 2017, et une adaptation en série animée sortira bientôt sur France 5. Nous avons rencontré l’auteure française Pénélope Bagieu à l’occasion de sa participation au Festival BD de Montréal (FBDM). Une féministe qui a réussi à s’imposer dans un milieu encore majoritairement masculin.
C’est en voisine que Pénélope Bagieu a accepté l’invitation des organisateurs du festival puisqu’elle habite New York depuis plusieurs années (voir l’article de French Morning ici). L’occasion de rencontrer des collègues québécois et internationaux, de débattre de la place de la femme dans la BD et de parler de son travail.
Dans son dernier ouvrage, Culottées (Brazen dans la version anglaise), elle raconte le parcours de femmes, pour la plupart assez peu connues du grand public, qui ont réussi à vivre leur vie comme elles le voulaient et non selon ce qui était prévu pour elles. “C’était des femmes dont j’avais envie de parler depuis longtemps (…), nous confie Pénélope Bagieu. Il y a une constance dans ces femmes là qui viennent de milieux, d’époques et de pays divers : à un moment donné, elles ont décidé de faire comme elles voulaient elles, malgré l’adversité (…). Je trouve cela galvanisant de voir que, quelle que soit la main de départ, elles trouvent toutes des solutions”.
Les trajectoires de la volcanologue Katia Krafft, l’exploratrice Delia Akeley, l’actrice Margaret Hamilton, la journaliste Nellie Blye, et de toutes les autres “culottées”, montrent l’étendue des chemins creusés par ces femmes déterminées. “Cela nous donne des pistes de réflexion : même quand on veut faire quelque chose qui est diamétralement opposé à ce à quoi on est destiné, en fait c’est possible“, disent certains enfants à Pénélope Bagieu à propos de ces histoires. Elle réalise que ces modèles féminins lui ont manqué à leur âge. “Je n’avais pas cela lorsque j’étais plus jeune. J’ai grandi avec des modèles masculins et je n’ai pas questionné ce modèle. Pour moi les gens cool c’était les mecs !“.
Parmi les “culottées”, Tove Jansson a une place particulière pour Pénélope Bagieu. Créatrice de la série de livres illustrés Les Moumines, cette Finlandaise au coup de crayon élégant et expressif qui a récemment inspiré le dernier livre de la Franco-canadienne Julie Delporte, a instillé à travers ses personnages des messages d’amour, de tolérance et d’aventure dans les années 50 et 60. Puis, alors qu’elle était au sommet de sa popularité, elle a décidé de s’adonner à sa vraie passion, la peinture, et de vivre avec la femme qu’elle aimait malgré les préjugés de l’époque. “Elle a une façon de vivre sa vie d’artiste et de femme qui est parfaite. J’espère que plus on parlera d’elle, plus ce sera un modèle vers lequel se tourneront des personnes plus jeunes qui la découvriront avant trente ans“, commente Pénélope Bagieu qui a elle-même connu son histoire sur le tard.
D’abord diffusées sur un blog hébergé par Le Monde, puis sous forme d’album, les histoires des Culottées ont permis à la bédéiste de conquérir un jeune lectorat auquel elle ne s’était pas encore frottée. “Ce sont des retours beaucoup plus forts“, commente-t-elle, ravie. D’autant plus que créer pour ce public lui paraissait intimidant. “Si je m’étais dit dès le début que j’allais écrire pour les plus jeunes, je me serais mis une pression tellement dingue que je n’aurais jamais fait le livre“, s’amuse-t-elle.
Au-delà des histoires qu’elle met en dessins, la trajectoire de Pénélope Bagieu elle-même contribue certainement à faire bouger les lignes de la bande dessinée, domaine encore majoritairement masculin. Son premier album, Joséphine, qui raconte la vie d’une drôle de trentenaire, a été adapté au cinéma avec l’actrice Marilou Berry. Culottées a rencontré un gros succès en France et la galerie parisienne Barbier & Mathon lui a consacré une exposition. Pénélope Bagieu devrait encore élargir son public avec la diffusion d’une série animée Culottées sur France 5, réalisée par l’Anglo-Iranienne Sarah Saidan, dont un premier épisode devrait être dévoilé en juin au Festival d’Annecy du film d’animation.
Très engagée auprès de ses consoeurs puisqu’elle fait partie du Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme, Pénélope Bagieu se dit optimiste sur l’évolution des auteures féminines de BD, grâce à la relève. “Dans la jeune création de bande dessinée il y a énormément de femmes, et ce encore plus au Québec qu’en France. Mécaniquement, la vieille garde va être poussée vers l’extérieur par ces très jeunes femmes qui arrivent comme lectrices, actrices et idéalement comme éditrices. Il y a tellement de jeunes femmes qui trouvent ça complètement normal de se lancer dans la BD et surtout qui amènent des sujets dont elles n’ont pas honte (…). Maintenant on n’a pas besoin de s’excuser de raconter des vies de femmes“, analyse l’auteure.
Au Québec, les influences diverses, au delà de “l’héritage solennel dans la BD franco-belge“, et le système d’auto-édition, très présent, lui semblent particulièrement favorables à cette évolution. “En France, on reste à la merci d’un filtre d’éditeurs qui décident si un sujet est valide ou pas. Mécaniquement cela met de côté certaines voix“, regrette-t-elle.
Bien que ce soit sa première participation au festival BD de Montréal, Pénélope Bagieu n’a pas attendu cet évènement pour s’intéresser à la BD québécoise. “Je suis une énorme fan de Michel Rabagliati, confie-t-elle. Cela fait probablement partie des BD que j’emporte sur une île déserte et ce sont celles que j’ai le plus offertes, notamment aux gens qui n’aiment pas la bande dessinée, parce que ça marche toujours !“.
Elle admire également le dessin d’Isabelle Arsenault et le travail de la jeune bédéiste française à Montréal, Mirion Malle. “Il y a une sève extraordinaire dans la bande dessinée québécoise et canadienne en général, notamment chez les jeunes femmes (…). Il faut toujours regarder avec attention des éditeurs comme La Pastèque ou Pow Pow parce que c’est toujours bien“. Des bulles à déguster sans modération…