Nadir Moknèche est en ce moment à Montréal pour présenter son film Lola Pater dans le cadre de Cinémania. Le long-métrage, qui raconte l’histoire d’un transgenre algérien retrouvé par son fils 25 ans après, sera diffusé ce samedi 11 novembre 2017 à 21 heures au cinéma Impérial en présence du réalisateur. Une autre séance est prévue le lendemain à 15h15, toujours dans le cadre du festival. Maudits Français a profité de la venue du cinéaste franco-algérien à Montréal pour faire sa rencontre et en savoir davantage sur son oeuvre. Interview garantie sans spoiler.
Est-ce la première fois que vous présenter un film au Québec ?
J’étais venu déjà avec Le Harem de Madame Osmane. Mais comme c’était en 2000, j’avoue que je ne me souviens plus exactement les conditions dans lesquelles j’étais venu. Je sais que Délice Paloma a été très bien reçu à sa sortie. Apparemment, c’est une tradition maintenant au Québec ! Je sais que le public ici est très sensible à mon cinéma.
Pourquoi avoir fait le choix de venir présenter Lola Pater à Cinémania ?
Pour vous rencontrer, pour voir tout le monde et pour rencontrer le public québécois. C’est toujours agréable de voir le public.
Les réalisateurs comparent souvent les sorties de leurs films à des accouchements. Comment se porte votre bébé ?
Le post-accouchement ? (Rires.) Ça va ! C’est toujours un peu difficile la sortie de film. Mais ça va, les choses fonctionnent bien, le film a été bien reçu. C’est un joli petit succès, j’essaie de passer à autre chose maintenant.
A qui est destiné votre long-métrage ?
La Pater va toucher les gens, au-delà des mouvements militants. En France, ça a été très large ! L’intérêt du film est de pouvoir toucher les gens qui sont totalement ignorants de ce type d’histoires et de personnages. Il faut essayer d’aller les voir et de les prendre par la main pour les faire rentrer dans une histoire. Il faut qu’ils se disent à la fin : c’est la vie !
Vos films comportent toujours une part autobiographique. Celui-ci également ?
(Rires.) J’étais une femme et j’ai changé de sexe pour devenir un homme : j’ai fait l’inverse de Lola Pater !
Sur le tournage du Harem de Madame Osmane, on vous appelait Madame Osmane. Est-ce que l’équipe vous appelait Lola pour ce film ?
Non ! Lola, c’était Fanny Ardant ! Les personnes sont écrits par moi, donc il y a toujours une part de nous-même, que ce soit le personnage de Zino ou celui de Lola. Je me suis identifié au fils, mais aussi au père transsexuel. C’est la meilleure méthode d’intégrer, de parler des personnages et d’être en empathie avec eux.
Certains ont regretté que le personnage de Lola ne soit pas interprété par une actrice transgenre. Comprenez-vous cette levée de boucliers ?
C’est une minorité. Ce sont quelques personnes militantes que l’on compte sur les doigts d’une main. Ce n’est pas tout un mouvement. C’est 5-6 personnes révoltées et choquées que ce ne soit pas une transsexuelle. Je m’attendais à ça. Maintenant, nous sommes dans un moment où toutes les minorités, ethniques ou sexuelles, se crispent. Et je sais ce que c’est, être une minorité.
La raison du non-choix d’une transsexuelle est qu’il n’y a pas d’actrice pour ce rôle là. Et je pense que la chance avec Lola est d’avoir une grande actrice comme Fanny Ardant qui peut défendre le film et s’ouvrir à un public plus large. Ça fait du bien à la cause d’être vu par plus de monde et non pas seulement par un tout petit milieu.
Fanny Ardant est convaincante dans son rôle. D’autant plus qu’elle incarne également une personne d’origine algérienne…
(Il coupe.) Oui, là, aussi les Algériens auraient pu se demander : pourquoi ce n’est pas une Algérienne ? J’ai même entendu dire certains Algériens – une minorité toujours – qui se demandaient pourquoi avoir pris une Marocaine pour Viva l’Algérie ? Quand on entend ça, on devient fou. On prend une actrice ! On peut entendre énormément de choses et on aime bien se taper les uns sur les autres. C’est dommage : l’intérêt, c’est de faire les films et les montrer. Les raisons sont simples : c’est le choix d’une grande actrice qui me paraît le meilleur choix.
Lola Pater sera-t-il diffusé en Algérie ?
Délice Paloma a été interdit de sortie, depuis je ne me suis pas penché sur la question. Si quelqu’un veut le distribuer ou le projeter, c’est avec plaisir. J’ai lu récemment un petit article, dans une presse à scandale, que ce film ne pourra jamais sortir en Algérie à cause du sujet. C’est rigolo.
Pourtant, vous avez déjà diffusé en Algérie des films avec des scènes de sexe.
Oui, mais là ce ne sont pas des scènes de sexe. C’est un homme, avec toute la symbolique de l’homme algérien, qui devient une femme. La symbolique est très très forte. On touche à la sacro-sainte virilité et masculinité de l’Algérien et de l’homme arabe. La population peut être choquée et dire : pas touche à notre virilité.
N’est-ce pas là l’occasion d’ouvrir un débat de société ?
Je suis ouvert à tous les débats et à toutes les rencontres. Le film est là et il est prêt s’ils en veulent. Il n’y a pas de problème.
Il est souvent question de femmes dans vos films, y compris celui-ci. Comment s’annonce le prochain ?
Des hommes ! Que des hommes ! (Rires.) Plus sérieusement, je ne sais pas, je ne peux pas dire ça. C’est vrai que dans Le Harem, on a des personnes comme Madame Osmane. Souvent dans le cinéma on a des personnages de femmes très forts, notamment chez Truffaut avec Fanny Ardant et d’autres grandes actrices. Le cinéma, c’est très féminin. J’ai un vrai désir pour ça, j’aime bien écrire pour les femmes et me dédoubler.
Vous avez tourné en Algérie, à New York, à Paris, au Maroc… Est-ce que le Québec peut vous inspirer ?
Peut-être, c’est beau ! Peut-être plus dans la nature, dans des régions avec des espaces très ouverts. Ça peut être très beau ça aussi. Tout est possible !