C’est une question qui circule de plus en plus, à mesure que les tensions avec les États-Unis s’accentuent. Un récent sondage révèle même que 44% des Canadiens souhaiteraient voir leur pays rejoindre l’Union européenne. Ce qui relevait autrefois de l’inimaginable devient un vrai sujet de discussion, et surtout un joli pavé dans la mare lancé à Washington. Mais derrière cette idée surprenante, à quoi peut-on vraiment s’attendre du côté des relations Canada-Europe ?
Il y a des signes qui ne trompent pas. Après sa nomination à la tête du Parti libéral et du Canada, Mark Carney a réservé sa première visite officielle non pas aux États-Unis, comme le veut la tradition, mais à la France et au Royaume-Uni. Un choix hautement symbolique. Il a même déclaré lors d’une rencontre avec le président Emmanuel Macron que le Canada était « le plus Européen des pays non-européens ». Les liens se renforcent plus que jamais entre les alliés des deux continents.
Cette dynamique dépasse les gestes diplomatiques. Bien qu’ils soient significatifs, ces gestes ne constituent que le début d’une implication plus profonde. En effet, le Canada s’apprête à signer un partenariat militaire avec l’Union européenne, une décision inédite qui marque une volonté claire de s’impliquer dans le programme de réarmement massif du Vieux Continent.
« C’est quelque chose qui était difficile à imaginer il y a cinq ans, tout comme l’intention du Canada d’acheter des avions de chasse européens plutôt que des F-35 américains », souligne Frédéric Mérand, professeur et directeur du Département de science politique de l’Université de Montréal. Cette évolution dans la coopération militaire s’inscrit dans un contexte où les alliances se redéfinissent, où le Canada cherche à renforcer ses liens avec l’Europe, forcé de s’éloigner de son voisin américain.
Sur le plan économique, le CETA — l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne — pourrait enfin déployer tout son potentiel. Signé en 2016, cet accord marque l’aboutissement de négociations débutées en 2009. Cependant, il reste sous-exploité, notamment en raison d’un refus de ratification par dix États membres (dont la France, la Belgique et l’Italie) et de la puissance d’attraction du marché américain.
Cet accord pourrait toutefois devenir un axe stratégique central pour l’UE et le Canada, dans un contexte où le partenariat avec les États-Unis n’est plus avantageux économiquement.
Le CETA suscite cependant de vives controverses, notamment en France, où plusieurs secteurs sont préoccupés par les impacts d’un tel accord. Les opposants craignent des conséquences négatives majeures, notamment dans les domaines de l’agriculture, de l’environnement et de la santé. Les éleveurs bovins, par exemple, redoutent qu’une réduction significative des barrières douanières ne crée une concurrence déloyale qui menacerait la viabilité de leurs exploitations. De plus, certains estiment que des produits canadiens, qui ne respectent pas toujours les normes sanitaires et environnementales européennes, pourraient inonder le marché européen.
Cependant, dans un contexte de guerre commerciale avec les États-Unis, l’intérêt pour le CETA pourrait bien croître. En effet, l’Union européenne, tout comme le Canada, n’a pas été épargnée par les mesures tarifaires de Donald Trump. Le mois dernier, le président américain a imposé une hausse de 25 % sur les importations d’acier et d’aluminium. En réponse, l’UE a opté pour une réaction mesurée : elle a instauré des taxes de 25 % sur une large gamme de biens américains, allant du jus d’orange aux diamants, en passant par les bateaux de luxe et les volailles. Ces contre-tarifs, qui entreront en vigueur le 15 avril, montrent la volonté de l’UE de défendre ses intérêts sans provoquer une escalade.
La Commission européenne a d’ailleurs précisé que ces mesures pourraient être annulées si les États-Unis acceptent « une issue négociée, juste et équilibrée ». Cela laisse entrevoir la possibilité d’une réconciliation commerciale, mais aussi d’une consolidation des partenariats alternatifs, comme ceux avec le Canada, pour contrebalancer l’influence des États-Unis.
Pour Frédéric Mérand, la pleine exploitation du CETA pourrait rapidement devenir un enjeu majeur. « C’est la prochaine étape inévitable », affirme-t-il, soulignant que, dans le climat actuel, cet accord de libre-échange pourrait jouer un rôle clé dans la redéfinition des alliances commerciales et géopolitiques.
Si l’attachement du Canada à l’Europe semble s’intensifier, il ne date toutefois pas d’hier. « Les meilleurs amis du Canada ont toujours été des pays européens, parce qu’ils partagent des valeurs communes : ce sont des démocraties capitalistes, attachées à l’État-providence et à une approche multilatérale des relations internationales », rappelle Frédéric Mérand.
Par ailleurs, si l’adhésion à l’Union européenne peut sembler séduisante, ses implications réelles sont souvent mal comprises. « L’accord de libre-échange, on l’a déjà. La sécurité ? On fait partie de l’OTAN. Mais intégrer l’UE, c’est autre chose. C’est une intégration économique, réglementaire et institutionnelle bien plus ambitieuse, et beaucoup n’en sont probablement pas conscients », souligne le professeur.
Si le Canada se retrouvait isolé par les États-Unis et que l’Union européenne voyait un intérêt à accueillir un pays stable, riche et aligné sur ses valeurs, l’hypothèse d’une adhésion pourrait gagner en crédibilité. Mais avant d’en arriver là, bien des obstacles resteraient à franchir. Dans un contexte d’effritement des relations avec Washington, le Canada cherche des alliances solides, et l’Europe s’impose comme un partenaire naturel. Mais ce rapprochement pourrait-il réellement mener à une adhésion à l’Union européenne ? Pour l’instant, la question relève plus du symbole que d’une possibilité concrète.