La laïcité “à la française” est un concept qui voyage avec difficulté. Emmanuel Macron en a fait l’expérience en décidant d’affronter la presse américaine sur le sujet après les réactions à l’assassinat de Samuel Paty. Au Québec, le contraste des réactions de François Legault et Justin Trudeau a donné à voir une nouvelle fois les différences d’approches entre la province francophone et le reste du Canada.
Arrivé sur le devant de la scène politique l’an dernier avec la “loi 21”, par laquelle le gouvernement de François Legault tente d’imposer la neutralité religieuse dans l’espace public, le débat sur la laïcité met en lumière une profonde différence entre une approche de laïcité “à la française” et une sensibilité canadienne sur ce sujet beaucoup plus proche de la liberté de religion à l’américaine. Au-delà des polémiques partisanes du moment, ces différences sont largement liées à l’histoire de la religion au Québec.
Monopole catholique
L’Église catholique est très présente au Québec jusque dans les années 1950. Elle s’occupe notamment des services d’éducation et de la santé. « L’église était très présente dans la vie privée des Québécois. Le curé venait à l’accouchement d’un 8e enfant pour dire aux mères d’en faire un 9e, un 10e… C’est ce que nous racontent nos grands-mères », explique Guillaume Rousseau, avocat pour le Mouvement laïque québécois.
À partir des années 60, les gens vont moins à l’église et l’État souhaite prendre en charge la santé et l’éducation. C’est le début de la laïcisation avec la création du ministère de l’Éducation. Dans les années 90, les commissions scolaires (autorité de gestion des écoles) ne sont plus divisées selon la confession religieuse, mais selon la langue. C’est l’apparition des commissions scolaires francophones et anglophones. Malgré cela, les écoles continuent de proposer un cours de religion (catholique ou protestante) ou un cours de morale.
Dès 2008, ces cours seront remplacés par un cours commun multiconfessionnel d’éthique et de culture religieuse.
Entre 1960 et 2008, les différents gouvernements québécois qui ont pris le pouvoir sont allés dans le sens de la laïcité. « Même si une certaine part de la population était réticente ou trouvait que les changements étaient trop rapides, l’implantation de la laïcité au Québec a suivi son cours », développe l’avocat.
Une histoire différente pour les autres provinces
Ailleurs au Canada, la situation a été différente du fait de la multiplicité des églises notamment protestantes, à la différence de la domination de l’église catholique québecoise. Petit à petit, les écoles laïques ont fait leur chemin, la religion a perdu de son importance tout en restant toujours présente. « La laïcisation s’est faite progressivement alors qu’au Québec, ça a été plus brusque » note Guillaume Rousseau.
De plus, le multiculturalisme prôné par les autres provinces semble ne pas s’associer à la vision française de la laïcité. « Il n’y a qu’au Québec que les migrants doivent parler français. On est ouvert à en accueillir, mais on souhaite qu’ils s’intègrent aux valeurs, à la culture et à la langue québécoise. On favorise une culture de convergence, on souhaite que les arrivants participent et s’intègrent au Québec. Dans les autres provinces, la question de la langue ne se pose pas vu que l’anglais s’impose de lui-même. De plus, il n’y a pas une culture propre à protéger, c’est le multiculturalisme qui domine », développe l’avocat.
Le lien avec la France
Le modèle québécois se situe entre le modèle anglo-canadien (souvent proche des États-Unis) et le modèle français. Mr Rousseau explique donc que la province tente de concilier les deux modèles, notamment en ce qui concerne la laïcité. « La loi 21 veut interdire les signes religieux pour les professeurs, mais on n’irait jamais les interdire pour les élèves par exemple, contrairement à la France », poursuit-il.
Le lien entre le Québec et la France se fait aussi grâce à la langue commune. En effet, de nombreux Québécois se tiennent informés avec les émissions françaises. Beaucoup de Québécois viennent aussi étudier en France, et vice-versa.
« Il y a un lien très fort, une belle solidarité. C’est sûr que le reste du Canada et notamment les anglophones suivent moins ce qui se passe dans l’Hexagone ».
La loi 21, on en est où ?
Très décriée lors de son adoption en juin 2019, la loi 21 sur la laïcité de l’état, aussi appelée loi 21, est actuellement contestée devant les tribunaux. Le procès se terminera début décembre, mais la décision sera rendue au début 2021. Elle sera alors validée ou annulée en cas de « déclaration d’inconstitutionnalité ».
La loi 21 divise le peuple québécois et Mr Rousseau explique cette désunion notamment par une appartenance différente à la culture et à l’histoire.
« Certaines personnes au Québec sont plus attachées au Canada. Ils ne se reconnaissent pas dans la culture québécoise ou l’histoire de l’église catholique qu’on a subie pendant longtemps. L’influence française est aussi moins présente pour eux ».
Ceux qui défendent la loi 21 pensent que la neutralité dans les professions publiques, comme les professeurs, les juges, les agents de services correctionnels… est nécessaire pour garantir la liberté de conscience de tous les Québécois.
Une laïcité plurielle
Finalement, comme l’explique Mr Rousseau, « personne n’est contre la laïcité au Canada ». Cependant, il y a plusieurs conceptions de celle-ci. On pourrait dire qu’il y a une laïcité « à la française », notamment au Québec avec la loi 21 qui tente d’imposer la neutralité religieuse dans l’espace public.
La deuxième forme de laïcité pourrait être appelée « libérale » ou « pluraliste ». Celle-ci considère davantage la laïcité comme l’égalité face à la liberté d’expression, et notamment la liberté de religion. Le multiculturalisme s’impose donc dans l’espace public.
Le Québec s’inscrit donc dans une double réalité où l’histoire de la province favorise une politique proche de la France et qui souhaite une neutralité religieuse pour une convergence culturelle. De l’autre, on retrouve l’importance de la Confédération canadienne qui favorise l’expression de l’individualité de chacun et donc du multiculturalisme comme base du pays. Même si lien entre la France et le Québec est bien réel, on comprend donc que la notion de laïcité est ici beaucoup plus plurielle et sujette à débat.