Des regards insistants, des compliments non sollicités, des agressions verbales ou physiques, perpétrés par des inconnus dans des lieux publics, c’est ce qu’on appelle, plus communément, le harcèlement de rue. En France, 81% de femmes ont déjà été victimes de harcèlement sexuel, selon l’Ipsos. Mais dès qu’elles posent leurs bagages au Canada ce sentiment d’insécurité se dissipe voire semble presque inexistant pour certaines. Et pourtant, les rapports des associations féministes ou chercheurs québécois sont unanimes, ce phénomène est sensiblement le même outre-Atlantique. Alors, comment expliquer cette différence de ressenti ? Réponses avec plusieurs experts et témoignages.
« J’ai découvert en arrivant ici que je pouvais me promener seule la nuit, porter ce que je voulais, aller où je voulais, qu’il n’y avait pas de réel danger. Je ne suis plus du tout en hyper-vigilance, je peux dire qu’au bout de huit ans ça disparaît complètement », Maude a 26 ans, elle a immigré au Canada alors qu’elle était à peine majeure. En France, elle se souvient d’avoir vécu des épisodes de harcèlement presque quotidiens, dès qu’elle sortait de chez elle, « c’était pas mal partout, en permanence ». « On se sent moins embêtées dans la rue ici, on peut se balader comme on veut, et ça, c’est plaisant», ajoute Mathilde, 38 ans, installée, au Québec depuis trois ans maintenant. Un sentiment collectif de liberté dans l’espace public, partagé par de nombreuses femmes, fraîchement arrivées, mais également par Julien, à Montréal, depuis juillet dernier, « ici avec mon copain on n’a pas peur de se tenir la main ou d’avoir des gestes d’affection. En France, je n’aurais jamais tenté l’expérience ».
Plusieurs hypothèses pourraient expliquer cette différence de ressenti dans l’espace public, selon Mélissa Blais, professeure de sociologie à l’Université du Québec en Outaouais et Coresponsable du Chantier sur l’antiféminisme du Réseau québécois en études féministes. L’une d’entre elles serait liée au facteur culturel, notamment, à travers la galanterie à la française. « Certains vont encore adhérer à cette idée et même des femmes vont apprécier être abordées par un inconnu dans la rue, du moins, si c’est bien fait. Mais si on adhère à ce principe, on ouvre la porte aux harcèlements, ou tous autres abus. », explique-t-elle. Autre point, la fréquence des violences sexistes et sexuelles, qui influerait, à terme, sur notre seuil de tolérance, « on sent qu’on souffle à Montréal, parce que, justement, dans le quotidien, il n’y a pas toutes ces violences banalisées. Il y en a, mais il y en a peut-être moins ». La professeure de sociologie considère aussi que le mouvement féministe aurait plus d’impacts au Canada et serait plus entendu par la société et le gouvernement.
Sans oublier le facteur presque mathématique, plus il y a de monde dans les rues, plus il y a de risques de se faire harceler, comme le prouvent certaines études internationales à ce sujet, notamment aux heures de pointes ou dans les transports. Étant donné qu’en Europe la densité de population au kilomètre carré est plus importante, cela pourrait aussi avoir une incidence.
Ce qui fausserait aussi ce sentiment, c’est que Montréal est souvent considéré « comme une des villes les plus sécuritaires au monde, ça nous empêche de voir qu’il y a un vrai problème (…) Alors qu’on retrouve sensiblement les mêmes impacts partout », ajoute Mélissa Blais. En effet, d’après le rapport de recherche sur le harcèlement de rue à Montréal, entre 2020 et 2021, 65 % des personnes interrogées* disent en avoir vécu. Ces études sont récentes mais nécessaires pour faire avancer la cause, comme le précise Béatrice Mercier, organisatrice communautaire au Centre d’éducation et d’action des femmes de Montréal, qui est à l’initiative de ces rapports, « on voulait le documenter pour démontrer l’ampleur du phénomène par des chiffres. (…) par exemple, des personnes qui vont vivre en France, où c’est très présent, très prévisible, vont avoir l’impression qu’ici, il n’y en a pas ou très peu. Alors que ça ne prend pas les mêmes formes, mais ça existe et ça nuit à l’utilisation de l’espace public.». Béatrice Mercier estime aussi qu’en disant que « c’est pire ailleurs », le risque est de banaliser ou minimiser le harcèlement de rue, alors que « justement avec nos rapports, on démontre que la culture patriarcale, la culture du viol, ou même le racisme sont aussi très présents dans notre société. », conclut-elle.
L’une des solutions pour lutter contre le harcèlement de rue, selon Béatrice Mercier, est de rester à l’affût de son environnement et des autres : « le fait d’ouvrir un peu ses oeillères quand on est dans l’espace public, ça permet de voir comment on peut se positionner de manière solidaire avec les personnes ciblées, pour qu’elles sachent qu’on est là. Ça peut juste être un regard, aller s’asseoir à côté d’elle, ou même, faire semblant de la connaître, pour déjouer la situation. » À noter qu’il existe aussi une campagne de sensibilisation,Témoins Agissons, que l’on peut retrouver un peu partout dans le métro ou les bus, en collaboration avec la Ville de Montréal et le service de police et de transports.