Pour la deuxième année consécutive, Dans la tête de Proust (pastiche, collage et fabulations) de Sylvie Moreau, une pièce produite par OMNIBUS le corps du théâtre, est donnée à voir à l’Espace Libre. Nous avons assisté à la première en rappel qui se jouait le 21 février : si ce n’est pas encore fait, on vous recommande vivement d’y aller. Évasion garantie.
Si vous avez vraiment lu Proust ou si vous faites encore semblant de connaître son oeuvre sur le bout des doigts, profitez de la pièce de Sylvie Moreau pour vous (re)plonger en douceur dans cette oeuvre monumentale de la littérature française. Promis, vous ne serez pas à bout de souffle. Mieux : vous en redemanderez.
Sur scène, on retrouve évidemment ce fameux lit où Proust (joué par Pascal Contamine), alité durant 8 ans, a extirpé de son imaginaire cette fresque humaine qu’est À la recherche du temps perdu. Pour aider les spectateurs à pénétrer dans ce “petit musée fictif” que constitue ici “la tête de Proust”, c’est Jeanne (interprétée par Isabelle Brouillette, multipliant à merveille les rôles tout au long de la pièce) qui sert de guide aux spectateurs en leur prodiguant régulièrement des petits rappels historiques pertinents.
Saviez-vous, par exemple, que durant plusieurs années le régime de Proust se réduisait à deux croissants et un café au lait par jour ? Fascinant. Et que la fameuse madeleine de Proust n’était en réalité qu’un bout de pain ? On ne vous en dit pas plus.
La prouesse de la pièce réside peut-être dans sa capacité à rendre les textes de Proust plus accessibles qu’on ne le croirait. Voire même à humaniser cet auteur devenu légendaire. Un peu comme si Sylvie Moreau avait voulu respecter la consigne de Proust à la lettre : “L’oeuvre elle-même ne doit pas être sacralisée ; à l’adorer, nous oublierons celle dont nous-mêmes sommes peut-être porteurs”, écrivait-il.
Alors évidemment, impossible de retranscrire en 1h35 l’ensemble des passages cultes de l’oeuvre ou de revenir sur des détails biographiques, ce n’était d’ailleurs pas l’intention de départ. Sylvie Moreau avait prévenu : “Ce texte est lacunaire, fragmentaire. C’est la structure, l’artifice à travers lequel les corps et les humanités vont se traduire. Le texte campe le décor, le contexte. Il ne porte qu’en partie le sens, la chronologie, la courbe dramatique du spectacle. (…)”.
C’est sa lecture que la metteure en scène québécoise livre aux spectateurs avertis qui, pour certain·es, découvrent peut-être grâce à elle, que Proust avait un humour mordant ! Mais qu’il était également asthmatique et sujet à certaines addictions.
Durant 1h35, les fins connaisseurs proustiens auront reconnu certains passages ou morceaux de phrases impossibles à oublier lorsqu’on a lu, ne serait-ce qu’un peu, La Recherche. Un exemple, notre préféré, parmi tant d’autres au sujet de la jalousie : “Et cette maladie qu’était l’amour de Swann avait tellement multiplié, il était si étroitement mêlé à toutes les habitudes de Swann, à tous ses actes, à sa pensée, à sa santé, à son sommeil, à sa vie, même à ce qu’il désirait pour après sa mort, il ne faisait tellement plus qu’un avec lui, qu’on n’aurait pas pu l’arracher de lui sans le détruire lui-même à peu près tous entier: comme on dit en chirurgie, son amour n’était plus opérable.”
On note aussi l’incroyable jeu d’acteur de Jean Asselin qui interprète le personnage de Charlus : son jeu de jambes, sa posture et son costume (qu’on doit à Charlotte Rouleau) nous ramène tout droit à la période de la Belle Époque en plein Paris. Quel plaisir de voyager dans le temps et dans l’espace en restant à Montréal…
De la même manière, impossible de ne pas rire lorsque Nathalie Claude devenue Mme Verdurin et Isabelle Brouillette transformée en Oriane de Guermantes tentent de faire fi de leur hypocrisie mutuelle, en vain. Elles finissent par se jeter des pics avant de se taper dessus, à terre. Proust n’aurait pas rêvé mieux. Que dire encore de ces savoureux moments de lascivité entre les personnages, à commencer par Charlus et Jupien (joué par Bryan Morneau)?
Par pure obsession personnelle, on regrette seulement de ne pas avoir aperçu l’intrigant personnage androgyne de Morel prendre vie sur scène. Cet homme-femme aurait eu toute sa place dans cette pièce aussi queer que Proust l’était.
Plus qu’une sorte de “Proust pour les Nuls”, la pièce de Sylvie Moreau a le mérite de proposer aux spectateurs un dictionnaire des meilleures citations proustiennes (habilement transmises par les acteurs et actrices) en recréant comme elle le dit elle-même “une tempête de corps dans une petite chambre”.
“Laissez-vous guider à travers les méandres du cerveau d’un écrivain, celui qui a donné un autre sens au Temps Perdu”, vous conseille enfin la metteure en scène.