En 2019, Marie Delepière atterrit à New York avec un visa investisseur E-2, un mari, un enfant de huit ans et un grand projet : un lieu mêlant cuisine vietnamienne, arts martiaux et bien-être. Mais la réalité du terrain, les frictions avec un partenaire financier et, bientôt, une pandémie mondiale, transforment le rêve en parcours d’obstacles.
« On s’est retrouvés figés sur le canapé : my God, qu’est-ce qu’on a fait ? » se souvient-elle. Les économies fondent, la ville s’arrête. Alors Marie bouge. D’abord des cours de français pour tenir. Puis un geste simple, presque anecdotique initialement : elle poste sur son compte Instagram une tarte au citron faite-maison. Elle y ajoute cette légende : « une tarte achetée, une baguette offerte ». Et là, Brooklyn s’emballe et les commandes suivent.
Cette cuisine de l’urgence devient un espace de liberté. « La pâtisserie m’a sauvé la vie », confie-t-elle à plusieurs reprises. Enfant déjà, elle trouvait dans le four de la maison un refuge contre les tempêtes. Adulte, elle y retrouve un métier … et une voix.
Se donner la chance d’y croire
Le soufflet retombe quand la famille traverse les États-Unis pour s’installer à Los Angeles. Un road trip silencieux, un couple qui se défait, un nouveau départ sans réseau ni certitudes. Marie fait l’école à la maison pour son son fils pendant deux ans, elle enchaîne les heures dans une entreprise au business douteux. Le soir, elle construit son site Internet, s’inscrit sur Yelp. Et se fixe une date limite, un peu au hasard. Le premier avril, c’est décidé, elle vivra de sa passion. C’est finalement 24 heures plus tard qu’un appel va tout changer : « On cherche un private chef. Vous êtes disponible ? » Elle pose sa journée pour aller faire un essai… et ne retournera jamais au bureau.
Depuis, Marie travaille comme private chef et cheffe pâtissière. Elle s’adapte aux régimes les plus stricts, collabore parfois avec des équipes médicales, et a cuisiné pour des clients prestigieux jusqu’à devenir la cheffe privée d’une légende du rock. « Ce qu’on me demande ? Pas une cuisine spectaculaire, mais une cuisine du cœur. »
La lucidité loin des gros titres sur papier glacé
Le cœur, justement, infuse son projet baptisé « Aimer by Marie » (anagramme assumée d’« aimer ») : transmettre soin et douceur par l’assiette. « Un croissant prend deux jours : on ne paie pas seulement le temps, on paie le savoir-faire et la magie du process. »
Aux lectrices et lecteurs qui rêvent de vie à l’étranger, Marie livre un double message. D’abord, la lucidité : rien ne se passe comme prévu, surtout lorsque l’on travaille à son compte. Budget, filets de sécurité, compréhension des visas : « Un peu plus d’ancrage m’aurait épargné du stress. » Ensuite, l’ouverture : apprendre vite, réseauter localement (associations, communautés, consulat), documenter son travail (site, réseaux), dire oui aux opportunités… et non à ce qui trahit ses valeurs.
Aujourd’hui, à Los Angeles, Marie anime un podcast bilingue, Il était une fois une recette, dans lequel la cuisine devient récit d’humanité. « Les couches d’un croissant, ce sont les strates de la vie », sourit-elle. Et sa morale n’a rien d’un slogan : aux États-Unis, on peut rater, recommencer, et se réinventer… pour peu qu’on garde le four allumé.
🎧 Son histoire est à écouter dans French Expat, le podcast de celles et ceux qui vivent loin de chez eux.
French Expat est un podcast de French Morning qui raconte les parcours de vie des Français établis hors de France. Retrouvez-le sur toutes les plateformes d’écoute : Spotify, Apple Podcast, Deezer, Google Podcast, Podcast Addict, Amazon Music. Cet épisode est raconté, produit et réalisé par Anne-Fleur Andrle, habillé et mixé par Alice Krief.